Pourquoi se préoccuper de la pression artérielle pendant une chirurgie en position demi-assise ?

David J. Cullen MD, MS
Summary: 

Chez les patients anesthésiés pour une intervention chirurgicale en position demi-assise, la pression cérébrale peut atteindre des niveaux qui ne permettent pas au cerveau de s’auto-réguler. Cela peut entraîner des lésions cérébrales, mais il est essentiel de comprendre l’autorégulation cérébrale pour éviter ce problème. Le débit sanguin cérébral est en danger lorsque la pression cérébrale passe en-dessous de 70 à 80 mmHg. Une reconnaissance et un traitement rapides de l’hypotension cérébrale peuvent permettre d’éliminer le potentiel de lésions cérébrales chez ces patients.

Voir l’article initial en ligne à : https://www.apsf.org/article/beach-chair-position-may-decrease-cerebral-perfusion/

Chirurgie en position demi-assiseDe nombreux facteurs ont permis de réduire l’incidence de complications liées à une anesthésie. Le développement d’une sensibilisation culturelle et un intérêt prioritaire accordé à la sécurité des patients ont débuté par l’acceptation des normes de soins1, puis ont évolué de bien des façons depuis 1985. Le taux de mortalité liée aux anesthésies avant 1985 était d’environ 1 sur 10 000 cas. Après la publication des normes dans les JAMA, qui nous le précisons, s’appliquaient uniquement aux hôpitaux affiliés à Harvard, la pression publique a conduit l’American Society of Anesthesiologists (ASA) à adopter ces normes mot pour mot quelques mois plus tard.

L’introduction de nouvelles technologies, en commençant par l’oxymétrie de pouls, suivie de la capnographie, les améliorations constantes des appareils d’anesthésie et du matériel de surveillance, des médicaments plus sûrs, etc. ont permis de réduire considérablement les primes pour erreur médicale en anesthésie et les taux de mortalité liée aux anesthésies à un sur plusieurs centaines de milliers de patients de classe I et II de l’ASA en bonne santé.2-4

Cependant, comme le démontrait notre article initial,5 de nouveaux problèmes surgiront toujours, tels que des lésions cérébrales chez des patients en bonne santé qui subissent une chirurgie de l’épaule en position demi-assise (PDA). Quatre cas ont attiré mon attention autour de l’année 2000.5 Pas un seul médecin directement impliqué dans la prise en charge de ces quatre patients ne comprenait pourquoi l’AVC s’était produit, car, de leur propre aveu, les anesthésistes, les chirurgiens, puis les consultants en neurologie, cardiologie et radiologie n’avaient pas conscience des effets gravitationnels et du mécanisme hydraulique liés à la position assise ou PDA sur la perfusion cérébrale. En bref, la pression de perfusion cérébrale (PPC) a baissé jusqu’aux des seuils garantissant une perfusion cérébrale adéquate, voire en dessous.

Pour de nombreuses raisons bien connues, la pression artérielle (PA) baisse presque toujours pendant les premières étapes d’une anesthésie générales en PDA et en règle générale, l’administration de bolus de fluides et/ou vasopresseurs par perfusion permet d’inverser la situation en toute sécurité. Lorsqu’une anesthésie locale de l’épaule est établie avant l’opération, le stimulus chirurgical est atténué ou absent, éliminant ainsi un moyen puissant de contrer la baisse de PA pendant la chirurgie. Enfin, de nombreux chirurgiens demandent/préfèrent le maintien d’une légère hypotension, voire d’une hypotension délibérée, afin de réduire le gonflement des tissus, de limiter les saignements et d’améliorer la visualisation dans leur champ chirurgical.6,7 Cela entraîne des pressions artérielles moyennes (PAM) qui peuvent être insuffisantes pour maintenir un débit sanguin cérébral (DSC) adéquat car, en fonction de l’angle de la PDA et de la taille du patient, la PA au niveau du tronc cérébral sera inférieure de 20 à 40 mmHg à la PA réellement mesurée au brassard, généralement placé à la hauteur du cœur.

Comme l’ont dit les premiers Enderby et al. en 1954 à propos des craniotomies assises, pour chaque pouce de hauteur verticale entre la position du brassard de PA sur le bras et le tronc cérébral, au niveau du conduit auditif externe (CAE), représentant le niveau du tronc cérébral, il faut soustraire 2 mmHg de PA (ou 1 mmHg par 1,25 cm) pour approcher la pression de perfusion cérébrale (PPC).8 Dans 3 cas sur 4 que j’ai cités, et plus parmi ceux que j’ai étudiés, la PA systolique et la PA diastolique étaient généralement autour de 80–90/50–60, mesurées au niveau du bras/cœur, et souvent inférieures. Par conséquent, les PAS au tronc cérébral seraient environ inférieures de 20 à 40 mmHg et au niveau du cortex cérébral, encore 6 à 9 mmHg plus bas. Par conséquent, les PAS dans le cerveau seraient presque toujours égales ou inférieures à la limite inférieure de l’autorégulation acceptable (LIA) établie antérieurement, une PAS de l’ordre de 50 mmHg.9

Dans les années 90, des études menées par Drummond9 et d’autres10 (Tableau 1) ont permis de réviser la LIA à la hausse, afin de tenir compte du système vasculaire variable mais incomplet dans le polygone de Willis (constaté dans 40 à 45 % des cas), d’un débit sanguin collatéral imprévisible et des variations de la distribution locale de la circulation sanguine et de l’oxygénation cérébrale. À la fin des années 90, la fourchette de la LIA a été révisée à la hausse et elle varie entre 70 et 93 mmHg, avec une valeur moyenne de of 80 ± 8 mmHg.9,10 Récemment, Brady et al. ont rapporté que la PAM avec l’autorégulation la plus robuste pendant un bypass cardiopulmonaire chez les adultes, bien entendu en position de décubitus dorsal, était de 78 ± 11 mm Hg, alors que la LIA moyenne était de 65 ± 12 mm Hg.11

Tableau 1 : Limite inférieure de l’autorégulation dans les études menées chez les humains10

Chercheurs LIA moyenne (mmHg)
Strandgaard S. Br Med J. 1973;1:507–510. 70
Strandgaard S. Circulation. 1976;53:720–727. 73
Ohsumi H, et al. Resuscitation. 1985;13:41–45. 81
Waldemar G, et al. J Hypertens. 1989;7:229–235. 93
Schmidt JFG, et al. J Cardiovasc Pharmacol. 1990;15:983–988. 85
Larsen FS, et al. Stroke. 1994;25:1985–1988. 79
Olsen KS, et al. Br J Anaesth. 1995;75:51–54. 88
Olsen KS, et al. J Neurosurg Anesth. 1996;8:280–285. 73
LIA moyenne pour huit études entre 1973 et 1996 80 ± 8

LIA = limite inférieure de l’autorégulation

Les principes physiques et hydrauliques impliqués dans la différence gravitationnelle de la PAM dans le cadre d’une position assise étaient bien compris depuis des dizaines d’années. À l’époque où les craniotomies assises étaient en vogue, il était pratique courante, pour la surveillance de la PA intra-artérielle, de mettre le transducteur à zéro à la hauteur du CAE. Si seul un brassard était utilisé pour surveiller la PA, on appliquait une correction pour la hauteur verticale entre le brassard et le CAE. Lorsque la pratique des craniotomies assises a cessé, ce principe semble avoir été oublié ou n’avoir plus été enseigné aux anesthésistes nouvellement qualifiés.

En 2009, la plupart des participants au Symposium de l’APSF sur la perfusion cérébrale dans la gestion des chirurgies en PDA, organisé par Robert Stoelting, MD, ont convenu que le mécanisme d’ischémie générale (et j’ajouterais également l’ischémie locale) n’avait pas été prouvé. Toutefois, étant donnée la révision à la hausse de la LIA au fil des années, nous devrions appliquer le principe de précaution lorsque nous utilisons une hypotension délibérée ou si nous laissons les patients devenir hypotensifs, jusqu’à ce que les informations soient confirmées.6 Bien entendu, cette recommandation devra être corrigée pour écarter le recours à l’hypotension délibérée.

Il est impossible pour les anesthésistes de savoir si la circulation dans le cerveau est suffisante, car il n’existe aucun moyen de suivi clinique systématique permettant de surveiller le DSC, la pression de la perfusion cérébrale (PPC) ou l’oxygénation des tissus cérébraux pendant une anesthésie en PDA. En revanche, imaginons par exemple une personne éveillée assise dans un fauteuil. Pour une raison quelconque, en raison d’une crainte ou d’une frayeur, d’un évènement soudain, etc., sa PA baisse. La première sensation serait des étourdissements, éventuellement des nausées, ou un évanouissement. La première réaction consisterait à allonger la personne, en décubitus dorsal. Cela permet de s’assurer, au moins, que la PPC est égale à la PA au cœur et suffit généralement à soulager la détresse. Malheureusement, le patient anesthésié ne peut pas exprimer ces symptômes précoces lorsque l’hypotension s’installe et affecte le cerveau et par conséquent, l’anesthésie semble évoluer sans encombre. L’anesthésiste est responsable de s’assurer, du mieux possible à l’aide de méthodes indirectes, que la PPC et l’oxygénation cérébrale sont suffisantes. Pendant l’anesthésie, pour assurer l’oxygénation, nous nous appuyons en premier lieu sur l’assurance que la concentration d’oxygène inspiré et l’apport d’oxygène par l’appareil d’anesthésie sont suffisants. Ensuite, pour veiller à la bonne oxygénation du sang, nous utilisons un oxymètre de pouls pour surveiller la saturation en oxygène et ainsi, nous assurer que le sang alimentant le cerveau est bien saturé. Puis, en surveillant le CO2 de fin d’expiration, nous pouvons maintenir un niveau normal de CO2 afin d’éviter l’hypocarbie, pouvant causer une vasoconstriction cérébrale. Enfin, nous utilisons la PA mesurée au bras pour déduire que la PPC est suffisamment élevée pour faire circuler le sang bien oxygéné dans le cerveau. Si le patient est en décubitus dorsal, cette hypothèse est fiable.

Les procès-verbaux du symposium de 2009, publiés dans le Bulletin d’information de l’APSF,6 recommandaient les bonnes pratiques suivantes de la gestion de la PA en PDA, utilisées actuellement : 1) Ajuster la PA en PDA pour tenir compte du gradient hydrostatique ; 2) Dans la mesure du possible, éviter l’hypotension délibérée en PDA ; 3) La réduction maximale à partir de la PA de référence ne doit pas être supérieure à 30 % après un ajustement pour tenir compte d’un quelconque gradient hydrostatique en PDA. Je partage avec d’autres experts l’avis que cette recommandation devrait être changée. Il faudrait que la PA au brassard soit maintenue à un niveau égal ou très proche de la PA de référence à l’état éveillé lors d’une chirurgie en PDA, afin de protéger la LIA.12,13 Le cas échéant, il faudra rétablir la PA au niveau de référence en ajustant les fluides et les vasopresseurs si nécessaire.10

Il fallait mener des recherches scientifiques et désormais, de nombreuses études ont été présentées cherchant des moyens de surveiller l’oxygénation cérébrale, la circulation sanguine cérébrale locale et l’oxygénation veineuse jugulaire par rapport à la variation de la PA. Dans un article de l’APSF en 2013, Shear et Murphy ont passé en revue les études disponibles sur l’impact de la PDA sur la perfusion cérébrale.12 Ils ont écrit que jusqu’à ce que nous en sachions davantage sur l’oxygénation et la perfusion cérébrale locale, les cliniciens devaient rester conscients du danger de l’hypoperfusion cérébrale chez les patients. En 2019, la même équipe a passé en revue de manière détaillée ces études et d’autres plus récentes.13 Vingt-deux études ont utilisé divers outils de recherche pour mesurer la saturation d’oxygène cérébrale locale, la circulation sanguine cérébrale et l’oxygénation veineuse jugulaire, et 68 études ont examiné la gestion peropératoire et le devenir des patients. En résumé, les auteurs ont constaté qu’il y avait souvent un déséquilibre entre l’apport et la demande en oxygène ou en DSC pendant la chirurgie en PDA. Cependant, l’association entre ces variables de l’oxygénation cérébrale et du débit sanguin cérébral local n’était pas clairement établie. Ils ont conclu qu’en l’absence de données provenant du cerveau du patient, l’approche la plus sûre de la gestion de la PA périopératoire consistait à maintenir les PAS à un niveau proche des valeurs de référence pendant toute la durée de la procédure. Un conseil sage. Néanmoins, même si ces études de l’oxygénation cérébrale et de la DSC locale avaient démontré une réelle relation de cause à effet entre une PA basse et l’hypoperfusion cérébrale ou l’hypoxie cérébrale locale, ces outils de recherche ne sont pas encore disponibles pour une surveillance clinique systématique. Peut-être qu’à l’avenir, nous verrons le développement de moniteurs non-invasifs et rentables de la PPC, du DSC et de l’oxygénation au moyen d’appareils dérivés de l’oxymétrie cérébrale, de la spectroscopie dans le proche infrarouge, des moniteurs de DSC, des EEG analysés et d’autres nouvelles technologies. Jusque-là, il convient de maintenir la PPC à des niveaux ultra sûrs, étant donné ce que nous savons actuellement à propos de la LIA et le peu de connaissances dont nous disposons sur ce qui constitue une perfusion cérébrale suffisante dans le cerveau de chaque patient sous anesthésie.

Deux très grandes études de l’hypotension artérielle peropératoire (HAP) chez les patients subissant diverses opérations mettent en perspective le risque potentiel de réduction de la perfusion cérébrale en PDA. Monk et al. ont démontré qu’un délai d’environ 5 minutes passées avec une PA inférieure aux seuils de PA systolique de 70 mmHg, de PAS de 55 mmHg et de PA diastolique de 35 mmHg, avec un ajustement approprié du risque, était fortement associé à une hausse de la mortalité postopératoire à 30 jours, toutes causes confondues.14 De même, Staplefeldt et al. ont élargi cette observation pour constater qu’en cas de baisse progressive des PAS de 75 mmHg à 45 mmHg, associée à la durée d’exposition à la HAP, l’augmentation de la mortalité postopératoire à 30 jours toutes causes confondues était extrêmement importante.15 Une troisième étude de Ahuja et al.16 a examiné les lésions myocardiques et rénales aigues chez 23 140 patients subissant une chirurgie non cardiaque, dont la PA intra-artérielle était mesurée et enregistrée à intervalles d’une minute. Lorsque la PA systolique descendait en-dessous de 90 mmHg et que la PA moyenne baissait en-dessous de 65 mmHg, pendant 5 minutes, on constatait des associations importantes et cliniquement significatives de lésions myocardiales et rénales. Ces trois études renforcent l’inquiétude que le risque de lésion cérébrale pourrait aussi augmenter quand les patients sont opérés en PDA si les PA de référence ne sont pas maintenues au niveau du cerveau. Pourquoi ? Parce que la PAS au tronc cérébral (30–50 mmHg) et au cortex (20–40 mmHg) est plus faible et le temps d’exposition à ces PA très faibles pendant une chirurgie en PDA est généralement beaucoup plus long que les chiffres signalés dans ces 3 études.14-16 Par conséquent, si quelques minutes de diminution des PAS vers 45 mmHg peuvent causer la hausse de la mortalité postopératoire à 30 jours, et 5 minutes de diminution des PAS en-dessous de 65 mmHg peut augmenter le taux de lésions myocardiales et rénales, il est raisonnable de se soucier du risque de lésions cérébrales avec une baisse de la PPC en-dessous de 30–50 mmHg associée à une durée d’hypotension cérébrale d’une à deux heures, ce qui est souvent le cas avec une chirurgie de l’épaule. Dans ce cas, le rapport d’anesthésie indique une anesthésie stable et régulière, car les relevés de PA par le brassard au niveau du bras/cœur semblent relativement normales, puisqu’elles n’ont pas fait l’objet d’un ajustement pour tenir compte de la position PDA relevée.

Il est certain qu’il est rare que l’issue d’une telle chirurgie soit une lésion cérébrale, comme c’est le cas pour de nombreux autres conséquences catastrophiques résultant de complications liées à l’anesthésie. Par exemple, l’hyperthermie maligne, l’encéphalopathie hypoxique ou un décès suite à un échec d’intubation sont des conséquences rares, mais ces sujets, et d’autres, ont fait et continuent de faire l’objet d’une énorme attention et de vastes ressources entièrement justifiées. Comme l’ont déclaré Drummond et al., « Nous ne pouvons pas nous rassurer par la notion qu’à un instant donné, « une partie » du cerveau n’est pas ischémique. Ce serait une pauvre consolation pour les patients dévastés ou leur famille de savoir que certaines parties du système nerveux ont continué à être irriguées en sang alors que d’autres étaient irrémédiablement endommagées. »17

Dans la pratique clinique, il est fondamental de savoir comment l’autorégulation affecte le débit sanguin cérébral parce que cela permet de réagir en douceur aux faibles baisses de PA, afin de préserver la perfusion cérébrale. Cependant, tout en sachant quand la LIA (70-80 mmHg) approche, ce qui augmente le risque d’ischémie cérébrale car le DSC baisse parallèlement à l’aggravation de l’hypotension, il faut tenir compte des gradients hydrostatiques et rétablir agressivement la PA du patient à sa valeur de référence au niveau du bras/cœur. Pour paraphraser l’avertissement de Lanier, cela correspond à notre rôle historique de dernière défense homéostatique d’un patient vulnérable pour éviter les lésions cérébrales pendant une anesthésie et une chirurgie.18

 

David Cullen MD, a été président du Département d’anesthésie et de traitement de la douleur du St. Elizabeth’s Medical Center (à la retraite), professeur d’anesthésiologie à l’école de médecine de Tufts University (à la retraite), ancien professeur d’anesthésie et soins intensifs, Harvard Medical School au Massachusetts General Hospital (à la retraite), Boston, Massachusetts


L’auteur ne signale aucun conflit d’intérêts en lien avec cet article.


Documents de référence

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