La sécurité des patients et la surveillance quantitative de la transmission neuromusculaire en 2022

Lawrence Caruso, MD, Samsun Lampotang, PhD, FSSH, FAIMBE, Nikolaus Gravenstein, MD
Summary: 

Récemment, le Comité sur la technologie de l’Anesthesia Patient Safety Foundation (APSF) a recommandé la surveillance NMT dans les cas d’utilisation d’un curare à durée d’action intermédiaire. Le passage de la surveillance clinique à une surveillance de la NMT par le train-de-quatre représente l’étape initiale de l’avancement d’une surveillance plus sophistiquée de la NMT.

Historiquement, le blocage neuromusculaire de durée d’action intermédiaire est obtenu par un dosage basé sur des données de population accompagné des signes cliniques et/ou d’une surveillance subjective (qualitative) des secousses musculaires en réponse à une stimulation électrique. Il est plutôt surprenant de constater que la surveillance de la transmission neuromusculaire (NMT) n’est pas encore une norme de soin fondamentale de la surveillance de l’anesthésie officiellement énoncée lorsqu’un agent de blocage neuromusculaire à durée d’action intermédiaire (NMB) est administré.1 Récemment, le Comité sur la technologie de l’Anesthesia Patient Safety Foundation (APSF) a recommandé la surveillance NMT dans les cas d’utilisation d’un curare à durée d’action intermédiaire.2 La recommandation en faveur d’une surveillance NMT découle des nombreuses expériences de bloc neuromusculaire résiduel chez les patients postopératoires, ce qui n’est pas un phénomène rare. Ces patients sont sujets à des risques physiologiques et psychologiques postopératoires, associés à une faiblesse induite par les agents chimiques. Le risque psychologique est évident, alors que les risques physiologiques peuvent être évidents ou plus subtils, mais ils comprennent l’hypoxémie, la détresse respiratoire, la nécessité de supplémentation en oxygène, une mauvaise protection des voies aériennes supérieures et un séjour plus long en salle de réveil.3 Le bloc neuromusculaire résiduel est plus prévalent lorsqu’un patient est évalué comme étant « cliniquement fort » avant ou après l’inversion du bloc neuromusculaire en utilisant uniquement des indicateurs cliniques (ex. volume respiratoire adéquat, force de préhension et/ou relevé de tête pendant cinq secondes). La pratique consistant à simplement utiliser la surveillance clinique seule du bloc neuromusculaire et l’évaluation de l’éveil persiste malgré de nombreux documents qui attestent que le bloc neuromusculaire résiduel survient chez environ un patient sur cinq à l’arrivée dans l’unité de soins post-anesthésie.4 Le bloc neuromusculaire résiduel est défini comme un rapport de la hauteur/force de la quatrième contraction musculaire à celle de la première (T4/T1) qui est < 0,9 après l’administration d’un curare à durée d’action intermédiaire.5

Avec l’omniprésence croissante des stimulateurs nerveux, on constate une évolution régulière vers le titrage des NMB par rapport à une réponse motrice à un stimulus électrique. Le stimulus est appliqué plus généralement sur le nerf ulnaire pour activer la stimulation et l’évaluation d’une réaction de l’hypothenar ou dans la zone périorbitaire pour évaluer la réaction du muscle orbiculaire ou des muscles releveurs des paupières. En fait, la surveillance de la réponse motrice à un stimulus électrique est un progrès important par rapport à la simple pratique de dosage et d’antagonisme des NMB en fonction du temps écoulé, de la réponse clinique et du poids du patient. Le passage de la surveillance clinique à une surveillance de la NMT par le train-de-quatre (TOF) représente l’étape initiale de l’avancement d’une surveillance plus sophistiquée de la NMT. La surveillance par TOF a fait l’objet de nombreuses études. Par conséquent, nous savons qu’en l’absence de secousse musculaire, le bloc des récepteurs neuromusculaires (NMRB) est quasiment de 100 %, avec 1 secousse NMRB de 90 %, 2 secousses NMRB de 80 %, 3 secousses NMRB de 75 %, et encore NMRB compris entre 0 et 75 % avec 4 secousses.6

Afin d’obtenir une évaluation plus nuancée, le médecin évalue le ratio T4/T1. Le ratio cible est d’au moins 0,9 pour une inversion clinique adéquate type.7 Bien qu’il soit possible d’évaluer le ratio T4/T1 par une inspection visuelle, une palpation ou une méthode électronique, il est bien décrit qu’une évaluation visuelle et tactile du ratio T4/T1 est remarquablement imprécise et incapable de discriminer de manière fiable entre un ratio de 0,4 et un ratio supérieur à 0,9.8 Cette constatation a une conséquence clinique et explique la recommandation de la mise en œuvre d’une surveillance quantitative de la NMT par T4/T1 (QNMT). Avec la QNMT, l’appareil rapporte un nombre de secousses puis un ratio T4/T1 objectif une fois que sont présentes au moins 4 secousses. Cela permet de réaliser une vérification objective qu’un ratio d’au moins 0,9 a été rétabli après un réveil spontané ou par inversion pharmacologique. Il convient de noter qu’un ratio T4/T1 de référence est en réalité supérieur à 1. Cela est dû au fait que la libération d’acétylcholine dans la jonction neuromusculaire n’est pas complètement éliminée entre les secousses TOF. Par conséquent, il existe une certaine potentialisation. En l’absence d’un appareil de surveillance QNMT, l’obtention d’une tétanisation constante pendant 5 s à 100 Hz équivaut à un ratio T4/T1 d’environ 0,9. En revanche, l’utilisation d’une tétanisation à 50 Hz est insuffisante pour évaluer un réveil/une inversion suffisant et il est possible que cette méthode ne soit pas meilleure que le TOF qualitatif.9

Au cours des 6 dernières années, une nouvelle molécule, le sugammadex, a été mis sur le marché pour inverser le bloc neuromusculaire. Le sugammadex encapsule plusieurs NMB à durée d’action intermédiaire (c.-à-d. le rocuronium et le vécuronium). Contrairement à la néostigmine, qui crée un antagonisme compétitif en augmentant le taux d’acétylcholine dans la jonction neuromusculaire, le sugammadex n’a pas d’effet plafond. Malgré la pharmacodynamique rapide et extrêmement fiable du sugammadex, la NMT joue encore un rôle important pour vérifier que le ratio T4/T1 cible est supérieur à 0,9 ou qu’une tétanisation constante à 100 Hz a été obtenue après l’administration du sugammadex, comme le recommande la notice du produit.10 Sauter cette étape sans raison met nos patients en danger. Comme le disait l’un de nos mentors, le bloc opératoire n’est pas source d’optimisme.

Au printemps 2022, l’APSF a ajouté un module QNMT à son Programme d’éducation technologique, afin de permettre aux cliniciens de mieux comprendre et de leur apporter un modèle mental de la surveillance NMT et de la surveillance QNMT, du dosage initial du NMB, de la réadministration, de la pharmacodynamique, de l’interaction des produits anesthésiants volatils avec le bloc neuromusculaire et de l’antagonisme du bloc neuromusculaire.

 

Le Dr Lawrence Caruso est professeur d’anesthésiologie et médecin-directeur de la qualité du Service d’anesthésiologie, College of Medicine de l’Université de Floride, Gainesville, Floride.

Samsun Lampotang, PhD, FSSH, FAIMBE, est titulaire de la chaire JS Gravenstein d’anesthésiologie, il est directeur de CSSALT et directeur des innovations du Bureau de l’éducation médicale du College of Medicine de l’Université de Floride, Gainesville, Floride, États-Unis.

Le Dr Nikolaus Gravenstein est titulaire de la chaire Jerome H. Modell, MD, professeur d’anesthésiologie, et professeur de neurochirurgie et périodontologie, College of Medicine de l’Université de Floride, Gainesville, Floride, États-Unis.


Les auteurs ne signalent aucun conflit d’intérêts.

Financement : Subventionné par la chaire de recherche Jerome H. Modell, MD (N.G.) et la chaire de recherche Joachim S. Gravenstein (S.L.).


Documents de référence

  1. American Society of Anesthesiologists. Committee on Standards and Practice Parameters. Standards for basic anesthetic monitoring. Last affirmed: December 13, 2020. https://www.asahq.org/standards-and-guidelines/standards-for-basic-anesthetic-monitoring. Accessed April 12, 2022.
  2. The APSF Committee on Technology. APSF endorsed statement on revising recommendations for patient monitoring during anesthesia. APSF Newsletter. 2022;37:7–8. https://www.apsf.org/article/apsf-endorsed-statement-on-revising-recommendations-for-patient-monitoring-during-anesthesia/. Accessed April 22, 2022.
  3. Raval AD, Uyei J, Karabis A, et al. Incidence of residual neuromuscular blockade and use of neuromuscular blocking agents with or without antagonists: a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. J Clin Anesth. 2020;64:109818. 32304958. Accessed April 22, 2022.
  4. Grabitz SD, Rajaratnam N, Chhagani K, et al. The effects of postoperative residual neuromuscular blockade on hospital costs and intensive care unit admission: a population-based cohort study. Anesth Analg. 2019;128:1129–1136. 31094777. Accessed April 22, 2022.
  5. Brull SJ, Naguib M, Miller RD. Residual neuromuscular block: rediscovering the obvious. Anesth Analg. 2008;107:11–14. 18635461. Accessed April 22, 2022.
  6. Murphy GS, Brull SJ. Residual neuromuscular block: lessons unlearned. Part I: definitions, incidence, and adverse physiologic effects of residual neuromuscular block. Anesth Analg. 2010;111:120–128. 20442260. Accessed April 22, 2022.
  7. Naguib M, Brull SJ, Kopman AF, et al. Consensus statement on perioperative use of neuromuscular monitoring. Anesth Analg. 2018;127:71–80. 29200077. Accessed April 22, 2022.
  8. Viby-Mogensen J, Jensen NH, Engbaek J, et al. Tactile and visual evaluation of the response to train-of-four nerve stimulation. Anesthesiology. 1985;63:440–443. 4037404. Accessed April 22, 2022.
  9. Capron F, Fortier LP, Racine S, et al. Tactile fade detection with hand or wrist stimulation using train-of-four, double-burst stimulation, 50-Hertz tetanus, 100-Hertz tetanus, and acceleromyography. Anesth Analg. 2006;102:1578–1584. 16632846. Accessed April 22, 2022.
  10. Bridion (sugammadex). Prescribing information. Merck; 2015. https://www.merck.com/product/usa/pi_circulars/b/bridion/bridion_pi.pdf. Accessed April 12, 2022.