Éditorial : Déclaration de l’APSF à propos de la criminalisation des erreurs médicales et appel à l’action contre les évènements indésirables évitables

Jeffrey Cooper, PhD, Brian Thomas, JD, Elizabeth Rebello, Rph, MD, FASA, CPPS, CMQ, Paul Lefebvre, JD, Karen Feinstein PhD, MSW, Lynn Reede, DNP, MBA, CRNA, FNAP, Seema Kumbhat, MD, Steven Greenberg, MD, FCCP, FCCM

Erreur médicaleIl y a presque cinq ans, Charlene Murphey, une patiente au Vanderbilt Medical Center, est décédée à la suite d’une série de défaillances systémiques et d’erreurs, typique du « modèle du fromage suisse ».1 Le procureur local a décidé de prendre une mesure extrêmement rare et a poursuivi l’infirmière qui avait administré du vécuronium à la place de midazolam, causant la mort de Mme Murphey.2 L’infirmière, qui avait déjà perdu son emploi et son permis d’exercer, a été reconnue coupable de négligence grave envers une adulte physiquement diminuée et d’homicide par négligence criminelle, mais condamnée en définitive à trois années de probation.3 Par le biais d’une prise de position publiée dans son intégralité dans ce numéro de son Bulletin d’information, l’APSF fait partie de plusieurs organismes qui dénoncent la criminalisation des erreurs commises par les prestataires de santé alors qu’ils administrent des soins avec de bonnes intentions. Toutefois, l’APSF est convaincue que la mesure la plus importante en réponse à cet évènement indésirable et à d’autres évènements semblables, en particulier ceux qui concernent des erreurs médicamenteuses et l’absence de surveillance, est pour tous les systèmes de soins, les prestataires de santé et les organes réglementaires d’identifier et d’intensifier les activités et les interventions qui permettront de prévenir les erreurs qui causent des préjudices aux patients.

Que s’est-il passé ce jour fatidique de 2017 ? Selon plusieurs médias, il s’agit d’une histoire compliquée qui peut sembler monstrueuse, mais un examen attentif révèle une issue tragique et évitable, que nous ne connaissons que trop bien. En fait, RaDonda Vaught, une infirmière diplômée agréée et expérimentée en soins intensifs, était l’infirmière-ressource qui a été appelée à rejoindre le service d’IRM qui manquait de personnel. Elle a été chargée d’administrer du midazolam à Charlene Murphey, afin de réduire son anxiété, sous la marque courante « Versed », qui n’était pas dans la liste du système de distribution de médicaments.

Mme Vaught, qui ce jour-là encadrait une étudiante, n’avait pas l’habitude d’administrer du midazolam. Elle ne savait pas que Versed et midazolam sont le même médicament et elle ne l’a pas trouvé dans le système de distribution automatique des médicaments. Elle a utilisé la fonction de contournement et a donc sorti un flacon de vécuronium, qui était le premier médicament sur la liste et qui de plus, commençait par les deux mêmes lettres, « VE », que Versed. Les infirmières contournaient souvent les avertissements, car autrement, l’administration des soins devenait souvent impossible, en particulier dans des cas d’urgence. Ainsi, l’infirmière Vaught a pris du vécuronium et pour une raison inconnue, elle n’a pas lu l’étiquette et les avertissements concernant ses propriétés paralysantes. D’autre part, elle n’a pas réalisé que le vécuronium nécessite une reconstitution avec un solvant, ce qui n’est pas le cas du midazolam. Vu que le service d’IRM n’avait pas encore mis en place le système de lecture des codes-barres, elle n’a pas pu l’utiliser comme elle le faisait habituellement. Étant donné qu’elle avait d’autres tâches à réaliser dans le service d’urgence avec son étudiante, elle a laissé la patiente avec un technicien de radiologie, qui l’a conduite dans une salle d’attente où elle est restée sans surveillance. Le résultat de cet acte ne nécessite aucune explication pour un public d’anesthésistes.2

L’établissement de santé a payé en privé une somme confidentielle à la famille en compensation, avec l’engagement que la famille garde le silence. L’établissement n’a pas signalé l’incident aux organes réglementaires, comme la loi l’exige. C’est quasiment un an plus tard qu’un lanceur d’alerte a porté l’évènement à l’attention des régulateurs. Ce signalement a entraîné des poursuites, notamment contre l’infirmière.4

Cet évènement est vraiment devenu public au début du procès en 2022. En réponse, Dan Cole, MD, Président de l’APSF, a réuni un groupe de travail multidisciplinaire qui a été chargé de rédiger une prise de position de l’APSF et une politique d’actions au titre d’évènements semblables futurs. Les membres du groupe de travail étaient composés d’un dirigeant d’un organisme de défense des droits des patients, de prestataires de santé (anesthésistes, infirmière-anesthésiste diplômée agréée, pharmacien et chirurgien), d’un professionnel de la gestion du risque, d’un juriste et d’un ingénieur biomédical/responsable de la sécurité des patients. Dès le début de ses travaux, le groupe de travail a décidé de se concentrer en priorité sur la prévention de préjudices futurs par l’instauration immédiate de pratiques plus sûres et par la création de nouvelles pratiques. Comme l’indique la prise de position, il s’agit de l’esprit fondateur de l’APSF. Sous la direction du Président fondateur, Ellison C. Pierce, Jr., MD, l’APSF s’est donné pour mission de prévenir les conséquences négatives comme moyen de trouver des solutions à la crise des dédommagements en nombre croissant dans le cadre des fautes professionnelles. Devant cette réussite, la voie naturelle pour éviter les poursuites à l’encontre de prestataires de santé bien intentionnés, et également qu’ils deviennent aussi des victimes, devrait être la création et la mise en œuvre de mesures grâce auxquelles il serait quasiment impossible que les patients subissent des conséquences négatives de causes évitables.

Au sein du groupe de travail, nous reconnaissons que l’infirmière a une part de culpabilité et dans ces cas, des mesures disciplinaires et autres peuvent être justifiées. Toutefois, nous expliquons dans notre prise de position pourquoi nous estimons que la criminalisation d’une erreur médicale est injuste et contreproductive et pourquoi l’APSF porte aujourd’hui son attention sur ce sujet. Nous appelons les établissements de santé à agir dès maintenant en apportant des suggestions spécifiques pour prévenir les erreurs et tenir compte de celles qui surviennent. Nous recommandons des mesures que les professionnels de santé peuvent prendre immédiatement pour lutter contre les erreurs médicamenteuses et l’absence de surveillance et aussi pour améliorer la culture de sécurité de leur établissement. Nous espérons que les établissements de santé soutiendront une « culture juste » où la priorité est la prévention des effets négatifs et où les dirigeants et les prestataires de santé sont encouragés à concevoir des systèmes de sécurité et à faire des choix sans danger pour les patients.4 Enfin, nous expliquons les mesures que l’APSF prendra pour soutenir les professionnels de santé dans le domaine périopératoire qui seraient poursuivis en justice injustement et comment l’APSF promouvra la sécurité des patients à la suite d’évènements comme celui-ci.

Nous espérons que tous les lecteurs de ce Bulletin d’information prendront le temps de tirer des leçons de cette tragédie afin que nous puissions rendre un hommage collectif à Mme Murphey et à tous les patients qui subissent des conséquences négatives de soins périopératoires ou dans d’autres contextes pendant leur parcours de soins. Posez des questions et encouragez votre hôpital, votre service et vous-même à faire du mieux possible pour mettre en application les bonnes pratiques de sécurité actuelles et encourager une culture de sécurité. Merci de vous joindre à cet effort et si vous le faites déjà, élargissez vos activités. Ensemble, nous pouvons faire la différence.

 

Jeffrey Cooper, PhD, est professeur d’anesthésie, Harvard Medical School, et fondateur du Centre de simulation médicale à Harvard Medical School. Il est aussi l’ancien Vice-président et le co-fondateur de l’APSF.

Brian J. Thomas, JD, est Vice-président de la Gestion des risques de Preferred Physicians Medical. Il est membre du Conseil d’administration de l’APSF.

Elizabeth Rebello, MD, est professeure associée du Département d’anesthésie et de médecine périopératoire, Division d’anesthésiologie et soins cliniques au MD Anderson Cancer Center de l’Université du Texas, Houston, Texas. Elle est membre du Conseil d’administration de l’APSF.

Paul Lefebvre, JD, est avocat principal spécialisé en droit des assurances pour Preferred Physician Medical.

Karen Wolk Feinstein, PhD, est Président et Directrice générale de la Jewish Healthcare Foundation (JHF).

Lynn Reede, DNP, MBA, CRNA, FNAP, est professeure clinique associée du Programme des infirmiers-anesthésistes de Northeastern University, Boston, MA. Elle est membre du Comité exécutif et du Conseil d’administration de l’APSF.

Seema Kumbhat, MD, est médecin chef d’Option Care Health et chirurgien généraliste. Elle est membre du Conseil d’administration de l’APSF.

Steven Greenberg, MD, est professeur clinique du Département d’anesthésiologie de l’Université de Chicago, et Jeffery S. Vender, Président du Département de recherche et d’éducation en anesthésiologie de NorthShore University HealthSystem. Il est actuellement secrétaire de l’APSF et rédacteur du Bulletin d’information de l’APSF.


Aucun des auteurs ne signale de conflit d’intérêts en lien avec cet article.


Documents de référence

  1. Reason, J. A system approach to organizational error. Ergonomics. 1995;38:1708–1721.
  2. Kelman B. Former nurse found guilty in accidental injection death of 75-year-old patient. https://www.npr.org/sections/health-shots/2022/03/25/1088902487/former-nurse-found-guilty-in-accidental-injection-death-of-75-year-old-patient. Health News from NPR. Accessed May 25, 2022.
  3. Kelman B. No prison time for Tennessee nurse convicted of fatal drug error. https://khn.org/news/article/radonda-vaught-nurse-homicide-sentencing-probation-drug-error/. Kaiser Health News. Accessed May 25, 2002.
  4. Reckless homicide at Vanderbilt? A just culture analysis. https://www.justculture.com/reckless-homicide-at-vanderbilt-a-just-culture-analysis/. The Just Culture Company. Accessed May 25, 2022.