Les services d’anesthésie universitaires doivent tenir compte des besoins uniques des étudiants et des enseignants afin de favoriser le bien-être dans les trois domaines de médecine universitaire : l’enseignement médical, la recherche scientifique et le leadership Nous partageons et résumons ici les solutions de bien-être que nous avons élaborées. Les solutions de bien-être de notre service sont le résultat de l’application de notre approche innovante du bien-être (amélioration de la qualité de vie), qui englobe les principes de la conception centrée sur l’humain, l’amélioration de la qualité et la science de mise en œuvre.
La mission de la médecine universitaire
La médecine universitaire a pour mission de faire avancer le domaine de la médecine et d’assurer l’excellence des soins prodigués aux patients. Elle est composée de trois sphères universitaires : l’enseignement médical, la recherche scientifique et le leadership. Le burnout des médecins comporte des conséquences négatives, aussi bien sur le plan personnel que professionnel, notamment des troubles dus à la consommation de substances, la diminution de la qualité des soins et un nombre accru d’erreurs médicales.1 Par conséquent, le bien-être des médecins peut se traduire par une plus grande sécurité pour les médecins et pour les patients. Nous partageons ici l’expérience de notre service et expliquons comment les services d’anesthésie peuvent favoriser le bien-être des médecins dans ces trois domaines.
Nous savons que pour apporter le bien-être aux médecins, il faut leur procurer un soutien. Il est donc important de comprendre pourquoi les médecins font le choix de poursuivre une carrière dans la médecine universitaire. Les médecins peuvent choisir la médecine universitaire parce qu’ils souhaitent avoir des fonctions et des responsabilités supplémentaires, au-delà des soins cliniques, le plus souvent dans l’éducation universitaire et la recherche. Il est également possible que les médecins souhaitent assumer des rôles administratifs et de leadership et la répartition entre ces différentes fonctions peut varier en fonction de leurs intérêts. Les services d’anesthésie doivent permettre une souplesse et fournir des opportunités aux médecins afin qu’ils puissent remplir ces fonctions. Il est possible que consacrer au moins 20 % de son temps de travail (c.-à-d. 1 jour/semaine) à des activités très importantes pour le soignant puisse constituer une protection contre le burnout.2
La National Academy of Medicine (NAM) recommande que les systèmes de santé et les établissements universitaires créent des cadres de travail et d’apprentissage positifs,3 en mettant l’accent sur la nécessité d’instaurer une culture inclusive qui autorise tous les médecins à être eux-mêmes. Ainsi, les efforts en matière de bien-être sont intimement liés aux efforts de promotion de la diversité, de l’équité et de l’inclusion.
Enseignement médical
Les établissements universitaires ont l’immense privilège et la responsabilité de former la prochaine génération de médecins. Afin de mieux équiper les médecins pour une carrière médicale dans laquelle ils pourront s’épanouir, le bien-être doit être enseigné en tant que matière principale du cursus, pendant la formation médicale. Dans notre établissement, nous avons un programme de bien-être pour les internes, sur trois ans, qui comprend des séances didactiques et des discussions en petits groupes sur le développement professionnel et des sujets liés au bien-être, tels que la gestion de l’échec, le traitement des émotions, l’auto-compassion et la gestion des conflits.4
Les services d’anesthésie universitaires doivent cultiver une culture de soutien pour favoriser le bien-être à la fois des enseignants et des étudiants. Le bien-être des enseignants est essentiel au bien-être des étudiants, car les enseignants orientent la culture de l’établissement et servent de modèles aux étudiants. Les enseignants apprécient les occasions de création de contacts et de développement professionnel et notre service a mis en place plusieurs programmes qui prennent ces besoins en charge. Le programme Professeurs invités en anesthésie pédiatrique (Visiting Scholars in Pediatric Anesthesia Program, ViSiPAP) est un programme national d’échange d’enseignants et de stagiaires postdoctoraux, créé par notre service pour offrir des opportunités de renforcement de la communauté et de progrès universitaire.5 Le programme ViSiPAP a fait ses preuves de renforcement du bien-être, d’amélioration des cours didactiques et il crée des occasions de réseautage et de collaboration.6 En encourageant la collaboration et le partage des connaissances entre établissements, ce programme présente le potentiel d’améliorer la pratique de l’anesthésie et la sécurité de la prise en charge des patients.
Dans notre service, nous avons établi un Fonds de démarrage des médecins, qui soutient les enseignants médecins qui souhaitent se lancer dans la recherche. Il s’agit d’un programme permettant aux nouveaux chercheurs qui ont d’importantes responsabilités cliniques de demander une subvention du département et du temps à consacrer à un projet de recherche. Par ailleurs, nous avons formé un groupe de Biostatistiques et conception clinique pour les anesthésistes, composé d’enseignants en anesthésiologie possédant une expérience en recherche, qui fournissent des conseils et un tutorat formel et informel en matière de recherche. Nous avons créé une série d’ateliers de développement professionnel pour permettre aux enseignants de réussir dans leur carrière. Ces ateliers abordent des sujets tels que la création d’un plan de développement individuel, l’utilisation des réseaux sociaux pour l’avancement, le tutorat et la gestion du temps. Nous avons également des ateliers sur le bien-être financier, pour aider les enseignants et les étudiants à atteindre leurs objectifs financiers, car il a été démontré que la dette des étudiants en médecine a un impact défavorable sur le bien-être mental.7
Recherche scientifique
La NAM recommande que les systèmes de santé investissent dans la recherche sur le bien-être des médecins.3 Les questions de recherche proposées par la NAM comprennent des facteurs qui contribuent au burnout et au bien-être, les implications de la détresse des enseignants et des étudiants et des interventions au niveau systémique pour améliorer le bien-être. La recherche sur le bien-être des médecins englobe des méthodes de recherche existantes, telles que l’épidémiologie, la science de mise en œuvre, la recherche quantitative et la recherche qualitative. Souvent, les services universitaires possèdent déjà des infrastructures, tels que des réseaux de recherche et un soutien administratif pour soutenir les programmes de recherche sur le bien-être et ils sont bien placés pour mener les premiers efforts de recherche. La collaboration entre les établissements universitaires et non universitaires peut contribuer à accélérer les recherches sur le bien-être des médecins.
Depuis 1996, notre service reçoit une bourse de formation institutionnelle T32 des National Institutes of Health (NIH) pour former une nouvelle génération d’anesthésistes et leur apporter une expertise en principes fondamentaux de recherche. En 2021, nous avons reçu un supplément administratif des NIH pour créer un programme sur le bien-être pour les chercheurs-stagiaires en anesthésie. Ce nouveau programme comprend des évènements de renforcement de la communauté, le mentorat professionnel, des séminaires de recherche en bien-être et une liste des ressources de bien-être pour les chercheurs-stagiaires en anesthésie. D’autre part, les responsables du programme T32 mènent une étude qualitative pour déterminer les moteurs du bien-être et du burnout chez les stagiaires-chercheurs en anesthésie et évaluer l’efficacité du programme sur le bien-être.
Leadership
Les leaders peuvent promouvoir le bien-être dans leur service en développant une approche d’orientation, en constituant une équipe et en communiquant régulièrement. Les lignes de communication ouvertes sont plus importantes que jamais. Les leaders doivent communiquer de manière transparente sur les initiatives en cours, expliquer la logique des décisions cruciales, communiquer lorsque des problèmes surviennent et partager les solutions.
Les investissements dans le bien-être doivent être équilibrés par rapport à d’autres éléments financiers du service, tels que la rémunération des médecins, la recherche et autres. Cet investissement représente une stratégie sur le long terme, qui se concentre sur la rétention des enseignants, car les publications actuelles estiment que le coût de remplacement d’un médecin est de 2 à 3 fois plus grand que son salaire annuel.8 Un exemple d’un tel investissement dans le bien-être est le financement de temps préservé pour des postes de bien-être des enseignants. L’infrastructure de notre service comprend un président associé du bien-être, qui mène les efforts du service, un directeur du corps enseignant et un directeur du bien-être des étudiants, ainsi qu’un comité directeur, dont les membres représentent tous les groupes de notre service. Les leaders du bien-être du service collaborent étroitement avec les leaders de la diversité, de l’équité, de l’inclusion et des affaires universitaires.
Les efforts portant sur le bien-être dans un service nécessitent un plan stratégique systématique pour assurer leur efficacité. Notre service utilise deux cadres pour structurer nos efforts en matière de bien-être : les six domaines de la vie professionnelle (charge de travail, contrôle, rémunération, communauté, justice, valeurs)9 et la Pyramide modifiée des besoins de Maslow pour le bien-être.10 Nous avons développé une approche systématique innovante, qui englobe les principes de la conception centrée sur l’humain, l’amélioration de la qualité et la science de mise en œuvre que nous appelons l’Amélioration de la qualité de vie.11 Grâce à nos efforts visant le bien-être dans notre service, nos notes annuelles de satisfaction des enseignants ont augmenté régulièrement au cours des cinq dernières années.
Notre vision de l’avenir
Les établissements peuvent améliorer le bien-être des médecins en favorisant une culture de soutien professionnel et un cadre de travail qui leur permet de se concentrer sur la prise en charge de patients. Il est important de reconnaître que les efforts visant le bien-être n’évoluent pas en vase clos. Les efforts pour assurer le bien-être des médecins dans le cadre des interventions chirurgicales nécessitent un engagement de la part de toutes les parties prenantes. En tenant compte de cet élément, nous avons formé une équipe composée d’anesthésistes, de chirurgiens et d’infirmiers pour concevoir et mettre en œuvre des interventions périopératoires axées sur le bien-être. Nous espérons que ces efforts permettront de promouvoir une approche systémique du bien-être des médecins au sein de notre service et au-delà.
Jina Sinskey, MD, est professeure assistante et présidente associée du bien-être du Département d’anesthésie et soins périopératoires de l’Université de Californie, San Francisco, Californie. Elle est également vice-présidente du Comité sur le bien-être des médecins de l’American Society of Anesthesiologists.
Joyce Chang, MD, est professeure assistante et directrice du bien-être des médecins du Département d’anesthésie et soins périopératoires de l’Université de Californie, San Francisco, Californie.
Megha Parekh, MD, est professeure assistante du Département d’anesthésie et soins périopératoires de l’Université de Californie, San Francisco, Californie.
Michael Gropper, MD, PhD, est professeur et président du Département d’anesthésie et soins périopératoires de l’Université de Californie, San Francisco, Californie.
Jina Sinskey, MD, Joyce Chang, MD, et Megha Parekh, MD, ne signalent aucun conflit d’intérêts. Michael Gropper, MD, PhD, a perçu des droits d’auteurs d’Elsevier et son épouse est dirigeante et actionnaire de Kindbody, Inc. (aucun conflit d’intérêts lié à ces travaux).
Documents de référence
- Shanafelt TD, Noseworthy JH. Executive leadership and physician well-being: nine organizational strategies to promote engagement and reduce burnout. Mayo Clin Proc. 2017;92:129–146. doi.org/10.1016/j.mayocp.2016.10.004
- Shanafelt TD, West CP, Sloan JA, et al. Career fit and burnout among academic faculty. Archives of Internal Medicine. 2009;169:990–995. doi.org/10.1001/archinternmed.2009.70
- National Academies of Sciences, Engineering, and Medicine. Taking action against clinician burnout: a systems approach to professional well-being. The National Academies Press. 2019. doi.org/10.17226/25521
- Thornton KC, Sinskey JL, Boscardin CK, Sullivan KR. Design and implementation of an innovative, longitudinal wellness curriculum in an anesthesiology residency program. A & A Pract. 2021;15:e01387. doi.org/10.1213/xaa.0000000000001387
- Infosino A, Ferschl MB. Initial implementation of a combined faculty member and fellow exchange programme. Med Educ. 2020;54:460–461. doi.org:10.1111/medu.14103
- Ferschl MB, Boscardin C, Ravula N, Infosino A. Implementation and assessment of a visiting scholar exchange program in pediatric anesthesiology to promote junior faculty and fellow professional development. J Educ Perioper Med. 2021;23:E661. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34104675/
- Pisaniello MS, Asahina AT, Bacchi S, et al. Effect of medical student debt on mental health, academic performance and specialty choice: a systematic review. BMJ Open. 2019;9:e029980. dx.doi.org/10.1136/bmjopen-2019-029980
- Shanafelt T, Goh J, Sinsky C. The business case for investing in physician well-being. JAMA Internal Medicine. 2017;177:1826–1832. doi.org/10.1001/jamainternmed.2017.4340
- Leiter MP, Maslach C. Six areas of worklife: a model of the organizational context of burnout. J Health Hum Serv Adm. 1999;21:472–489.
- Shapiro DE, Duquette C, Abbott LM, et al. Beyond burnout: a physician wellness hierarchy designed to prioritize interventions at the systems level. Am J Med. 2019;132:556–563. doi.org/10.1016/j.amjmed.2018.11.028
- Sinskey JL, Chang JM, Nicholau D, Gropper MA. (in press). Amélioration de la qualité de vie : un cadre et une approche innovants du bien-être. Anesthesiol Clin. 2021 (accepté pour publication).