Équilibre entre durabilité et contrôle des infections : L’argument en faveur des laryngoscopes réutilisables

Diane Gordon, MD; Jodi D. Sherman, MD; Richard Beers, MD; Harriet W. Hopf, MD
Summary: 

Les articles récents sur la prévention des infections, publiés dans le Bulletin d’information de l’APSF par les Drs Prielipp, Birnbach, Schaffzin, Johnston et Munoz-Price, préconisent l’élargissement des procédures de décontamination des manches des laryngoscopes réutilisables. Les auteurs affirment que, dans le cadre de leurs recommandations d’un traitement élargi, l’option la plus rentable est l’adoption des laryngoscopes jetables à usage unique (SUD) dans l’ensemble du pays. Ils ne fournissent toutefois aucun élément de preuve qui corrobore l’élargissement des procédures de traitement des manches des laryngoscopes. Les manches des laryngoscopes jetables, qui contiennent toutes des piles au lithium, une source de lumière, du plastique et du métal, représentent de gros volumes de déchets médicaux et causent des dommages l’environnement. Une véritable analyse coûts-avantages prône le traitement les manches des laryngoscopes réutilisables conformément aux recommandations actuelles des CDC.

Dans leurs articles du numéro d’octobre du Bulletin d’information de l’APSF, les Dr Prielipp, Birnbach, Schaffzin, Johnston et Munoz-Price décrivent une approche intégrée du contrôle de l’infection par les anesthésistes.1,2 Nous sommes en accord avec la majorité de leurs recommandations, y compris l’hygiène fréquente des mains, le nettoyage du robinet de la perfusion intraveineuse avant l’injection, des pratiques aseptiques pendant la préparation et l’administration des médicaments et la décontamination des surfaces environnementales.3 En tout respect, nous exprimons toutefois notre désaccord avec la conclusion des auteurs que les laryngoscopes jetables à usage unique (SUD) sont plus rentables que les laryngoscopes réutilisables.

Les auteurs débutent par une demande d’élargissement des procédures de traitement des manches des laryngoscopes réutilisables. La mise en œuvre de ces procédures élargies nécessiterait le démontage et le transport des manches vers un espace de traitement central. Les auteurs ajoutent que « le coût du traitement des laryngoscopes réutilisables pour respecter cette nouvelle norme est conséquent » En raison de leur « nouvelle norme », les auteurs favorisent « l’adoption de matériel à usage unique [i.e., disposable laryngoscopes] » parce qu’elle « pourrait avoir un effet plutôt favorable sur les coûts ».1,2

Exiger la désinfection radicale des manches des laryngoscopes est contraire aux recommandations des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) (https://www.cdc.gov/infectioncontrol/guidelines/disinfection/rational-approach.html)

Il est exact que les lames des laryngoscopes doivent respecter l’obligation d’un traitement centralisé, toutefois nous estimons que les éléments probants ne corroborent pas le traitement des manches selon les mêmes normes. La contamination des manches du laryngoscope principalement par la flore cutanée normale est bien documentée.4-6 Toutefois, à notre connaissance, il n’existe aucun cas documenté d’infection nosocomiale transmise par les manches ou les lames d’un laryngoscope traitées selon les directives actuelles des CDC.

Nous sommes d’accord que les manches des laryngoscopes doivent subir une désinfection simple vérifiable pour assurer la décontamination de leurs surfaces, comme toute autre surface environnementale, et que les lames doivent rester emballées jusqu’à ce qu’elles soient utilisées sur le patient.

Le calcul du rapport coûts-avantages doit inclure l’évaluation des dommages causés à l’environnement et du coût des déchets médicaux. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) approuve cette approche ; dans son Rapport sur la santé dans le monde, l’OMS « plaide ardemment en faveur de l’évaluation des risques pour l’ensemble de la population …dans le cadre de stratégies de réduction des risques ». Chaque manche d’un laryngoscope jetable contient des piles au lithium, une source de lumière, ainsi que du métal et du plastique pour lesquels actuellement, le recyclage est rarement efficace. Les anesthésistes ont le devoir de tenir compte des dommages causés à la santé mondiale par la fabrication, l’emballage, le transport et la mise au rebut de ces articles à usage unique.7

Une analyse récente prenant en compte l’ensemble du cycle de vie du matériel plaide pour l’utilisation des laryngoscopes réutilisables pour des raisons de sécurité des patients, d’impact environnemental et de coûts.4 Elle a conclu qu’une fois tous les coûts comparés, les laryngoscopes réutilisables étaient 10 fois moins coûteux que les laryngoscopes SUD et les émissions de gaz à effet de serre étaient 16 à 25 fois moins importantes.4,8 Plusieurs études suggèrent qu’il n’a pas été prouvé que les laryngoscopes jetables sont plus fiables ou fournissent des conditions d’intubation supérieures à celles des laryngoscopes réutilisables.4,8-9

Sans preuve d’avantages, la mise en œuvre à grande échelle des laryngoscopes jetables aurait (et a déjà) pour conséquence une augmentation conséquente des coûts et de la pollution liés aux anesthésies. Les anesthésistes, en leur qualité de leaders de la sécurité des patients, ont le devoir d’utiliser des données factuelles pour atténuer l’incidence et les conséquences de répercussions néfastes.9,10 Dans son contexte le plus large, cela inclut les répercussions néfastes qui ont des conséquences sur la santé publique.

 

Le Dr Gordon est professeur assistant d’anesthésie à l’Université du Colorado et membre du Groupe de travail sur l’environnement de l’ASA.

Le Dr Sherman est professeur associé d’anesthésie et d’épidémiologie (sciences de la santé environnementale) à l’école de médecine de Yale, à New Haven, Connecticut, membre du Comité sur les équipements et installations de l’ASA et membre du Comité sur la santé et la sécurité au travail. Le Dr Sherman est également co-président du Sous-comité sur la santé environnementale de l’ASA.

Le Dr Beers est professeur d’anesthésie à l’Université d’État de New York, Upstate Medical Center et président du Comité sur la santé et la sécurité au travail de l’ASA. Le Dr Hopf est professeur d’anesthésie et professeur adjoint d’ingénierie biomédicale à l’Université de l’Utah, à Salt Lake City, Utah, et membre du Comité sur les équipements et les installations de l’ASA.


Le Dr Sherman a perçu des honoraires de conférence versés par Getinge USA. Drs Gordon et Beers n’ont aucun conflit d’intérêts à signaler.


Documents de référence

  1. Prielipp RC, Birnback DJ. Health care-associated infections: a call to anesthesia professionals. APSF Newsletter. 2019;34:29–32.
  2. Schaffzin J, Johnston L, Munoz-Price LS. The hospital epidemiologist’s perspective on the anesthesia operating room work area. APSF Newsletter. 2019;34:37–39.
  3. Munoz-Price LS, Bowdle A, Johnston BL, et al. Infection prevention in the operating room anesthesia work area. Infect Cont Hosp Ep. 2019;40:1–17.
  4. Sherman JD, Raibley LA, Eckelman M. Life Cycle assessment and costing methods for device procurement: comparing reusable and single-use disposable laryngoscopes. Anesth Analg. 2018;127:434–43.
  5. Call TR, Auerback FJ, Riddell SW, et al. Nosocomial contamination of laryngoscope handles: challenging current guidelines. Anesth Analg. 2009;109:479–83.
  6. Negri de Sousa AC, Levy CE, Freitas MIP. Laryngoscope blades and handles as sources of cross-infection: an integrative review. J Hosp Infect. 2013;83:269–275.
  7. Chapter 2: Defining and assessing risks to health. In: The World Health Report 2002: reducing risks, promoting healthy life. Geneva: World Health Organization, 2002, pp. 7–27.
  8. Sherman JD. Reusable vs disposable laryngoscopes. APSF Newsletter. 2019;33:91.
  9. Sherman JD, Hopf HW. Balancing infection control and environmental protection as a matter of patient safety: the case of laryngoscope handles. Anesth Analg. 2018;127:576–579.
  10. Watts, N. et al. The 2019 report of the Lancet Countdown on health and climate change: ensuring that the health of a child born today is not defined by a changing climate. Lancet. November 13, 2019 https://doi.org/10.1016/S0140-6736(19)32596-6