Pour donner suite à la Conférence Stoelting sur la prévention des erreurs médicamenteuses de 2018, l’APSF a organisé une réunion d’experts intitulée « Approches pratiques pour la prévention des erreurs médicamenteuses » à l’occasion du congrès annuel de l’ASA en 2019, à Orlando, en Floride. Ce panel d’experts réuni par l’APSF avait pour but de donner aux praticiens des stratégies concrètes pour réduire les erreurs médicamenteuses. |
Problèmes de sécurité des médicaments du point de vue d’un laboratoire pharmaceutique
par John W. Beard, MD, MBA
Le Dr Beard a présenté une perspective de la sécurité des médicaments pour la prévention des erreurs médicamenteuses du point de vue de la sécurité de la fabrication et du flux de travail pour la présentation des médicaments utilisés en anesthésie. Il a rappelé les principales contraintes de sécurité imposées par la FDA, y compris l’obligation pour le fabricant d’introduire les produits sur le marché uniquement après avoir déterminé qu’ils sont sans danger et efficaces pour l’usage prévu. Il a mis l’accent sur l’importance de tenir compte des facteurs humains dans la conception des appareils médicaux et des essais réalisés sur les produits. En citant les recommandations émises par le Règlement européen sur les dispositifs médicaux, il a insisté sur le fait qu’il est préférable d’éliminer tout risque dès la conception et que lorsqu’il existe des risques résiduels, ils devaient être atténués par des barrières supplémentaires, telles qu’un équipement de protection, des alarmes, un étiquetage et une formation.1
La saisie informatisée des ordonnances des médecins, la double vérification lors de la préparation et de l’administration des médicaments et l’utilisation d’un lecteur de codes-barres lors de la dispensation des comprimés et l’injection d’un médicament peuvent apporter un degré de sécurité supplémentaire. L’interconnexion entre les pompes électroniques et les dossiers de santé informatisés (EHR) peut également contribuer à l’amélioration de la sécurité des médicaments. L’interface entre les pompes électroniques et l’EHR est une communication bidirectionnelle sans fil, qui permet la programmation automatique des paramètres des perfusions dans la pompe et la documentation automatique de l’activité de la pompe de perfusion dans l’EHR. En dehors du bloc opératoire, il a été démontré que l’interconnexion entre la pompe électronique et l’EHR permet de réduire les erreurs médicamenteuses, d’augmenter l’efficacité ainsi que la précision et la tenue des dossiers.2-4
Les erreurs médicamenteuses avec les pompes de perfusion en anesthésie ont également été soulignées. Bien que les données publiées soient limitées, une étude réalisée en 2010 en Nouvelle Zélande a démontré que près d’un tiers des erreurs médicamenteuses auto-déclarées était lié à des pompes de perfusion.5 En 2018, dans une étude de l’Université de Washington, les erreurs des pompes de perfusion ont été identifiées et considérablement réduites par la mise en œuvre d’une « série de mesures pour les pompes électroniques ». Elle combinait la mise en œuvre de pompes électroniques pour les médicaments en perfusion, la standardisation de la concentration des perfusions et l’utilisation de la préparation centralisée en pharmacie des médicaments injectables.6
Le Dr Beard a recommandé que les anesthésistes prennent les mesures suivantes pour améliorer la sécurité des médicaments injectables dans le contexte périopératoire :
Tableau 1 : Suggestions de l’auteur pour améliorer la sécurité des médicaments injectables
Utiliser des pompes électroniques pour l’administration des médicaments et des fluides* |
Standardiser les pompes électroniques dans et en dehors des blocs opératoires |
Standardiser les concentrations des médicaments en perfusion continue utilisés pour les anesthésies et pour toutes les unités |
Utiliser la préparation centralisée en pharmacie des perfusions continues |
Analyser les données des pompes électroniques afin d’évaluer la conformité des cliniciens et l’efficacité des pompes électroniques |
*Cette recommandation est conforme au projet de directives sur les pompes électroniques de l’ISMP, qui prévoit que les fluides soient administrés de préférence par pompe électronique de perfusion, bien que l’administration en perfusion standard par gravité continue à avoir son intérêt dans certaines situations.7
Le Dr Beard est directeur médical et actionnaire de l’ICU Medical de Chicago, Illinois, et membre du comité de rédaction de l’APSF.
Erreurs liées à l’administration des médicaments : Mesures simples pour améliorer l’espace de travail des anesthésistes et réduire le risque d’erreurs médicales
par Dr. Eliot Grigg, MD
Le Dr Grigg a mis l’accent sur l’importance des processus de rationalisation et les options de simplification pour la manipulation des médicaments au bloc opératoire.8 De nombreuses barrières de prévention, telles que les étiquettes, les alarmes et la double lecture, ne sont pas de grandes contraintes. L’utilisation de seringues préremplies, par exemple, permet d’éliminer les 6 sous-étapes (prescription, préparation, exécution, administration, enregistrement et surveillance) et 19 modes d’erreurs possibles dans le cadre de la préparation des médicaments par rapport au système lecteur de codes-barres, qui ne fournit pas de barrières physiques mais exige la conformité de l’utilisateur.9 En définitive, la prévention des erreurs médicamenteuses vise à éliminer les étapes inutiles (telles que les dilutions excessives), automatise les processus (comme la programmation sans fil des pompes électroniques) et utilise des détrompeurs (comme les nouveaux connecteurs Luer pour l’anesthésie loco-régionale).10
Le Dr Grigg est professeur associé d’anesthésiologie à l’Université de Washington et n’a pas de conflits d’intérêts à communiquer.
Les pénuries de médicaments : Des substituts pratiques en cas de pénurie de vos anesthésiques les plus importants
par Joyce A. Wahr, MD
Les pénuries de médicaments ont eu un impact considérable sur les médecins en général et sur les anesthésistes en particulier, surtout parce que les pénuries les plus graves concernaient les médicaments génériques. Les pénuries sont fondamentalement dangereuses parce que les personnels soignants doivent s’adapter à de nouvelles présentations ou formulations différentes des médicaments standards ou se familiariser avec le dosage, les effets secondaires et les nuances d’un substitut (par ex. le glycopyrrolate pour l’atropine).11 Dans le cadre du suivi des pénuries par FDA, elle compte uniquement un médicament comme étant en quantité limitée lorsqu’aucun autre substitut n’est disponible. L’American Society of Hospital Pharmacists (ASHP), toutefois, étudie la question de savoir si une pénurie oblige les pharmacies à modifier leur mode de fourniture de ce médicament. Étant donné qu’un changement radical d’aspect, de concentration ou de date d’expiration d’un médicament pose de véritables risques d’erreurs médicamenteuses, la liste de l’ASHP des médicaments en quantité limitée est plus complète que la liste de pénuries de la FDA.
La FDA a mis en place un certain nombre d’approches pour atténuer l’effet des pénuries de médicaments, mais dispose de peu de pouvoir pour les éviter.12 Près de 40 % des injectables sont produits par un seul fabricant et toute perturbation de la chaîne logistique ou de la fabrication peut entraîner une pénurie. Les catastrophes naturelles, telles que l’ouragan Maria, qui a eu un effet significatif sur la fabrication des solutés intraveineux, peuvent causer une réduction brutale de la fourniture de médicaments. La consolidation des fabricants, l’élimination de la concurrence, les changements de distributeurs, tous ces facteurs rendent la gestion des pénuries de médicaments extrêmement difficile.
Souvent, les pharmacies des hôpitaux doivent sortir des chaînes de distribution habituelles pour entretenir l’approvisionnement normal d’un médicament critique. Ce processus peut conduire à avoir recours à des médicaments contrefaits ou ne répondant pas aux normes, tels que le cas de l’héparine qui ne respectait pas les normes, responsable d’au moins 10 morts aux États-Unis, ou l’agent de chimiothérapie qui n’avait pas de principe actif.13 Les pénuries de médicaments sont coûteuses : la plupart des hôpitaux ont un(e) pharmacien(ne) à plein temps pour gérer ce problèmeؘ ; celles-ci permettent aux fabricants d’augmenter les prix.14 Le Tableau 2 fournit quelques suggestions cliniques sur la manière de gérer les pénuries de médicaments.
Tableau 2 : Approche suggérée par l’auteur en cas de pénurie de médicaments
Tous les groupes d’anesthésistes devraient former un comité chargé des pénuries de médicaments, dirigé par des pharmaciens et intégrant des cardiologues et des réanimateurs |
Le comité devrait se réunir une à deux fois par mois pour étudier les nouvelles pénuries et celles qui sont en cours de résolution |
Il faudrait préparer des stratégies pour atténuer les effets, notamment la réduction des déchets, la réduction de l’utilisation, un changement de fournisseur, l’identification des substituts ou des changements de formulation |
Le comité devrait communiquer les détails des pénuries aux cliniciens, y compris les stratégies d’atténuation des effets |
Le personnel soignant doit également être alerté de la possibilité de médicaments contrefaits ou ne respectant pas les normes qui pourraient faire leur apparition sur nos chariots de médicaments |
Le Dr Wahr est professeur et vice-président de la qualité et de la sécurité du Département d’anesthésie de l’Université du Minnesota. Le Dr Wahr s’exprime au sujet de la sécurité des médicaments pour le compte d’Aspen Medical.
Normalisation de l’étiquetage et des concentrations des médicaments : Sommes-nous différents d’autres groupes qui administrent des médicaments ?
par Elizabeth Rebello, Rph, MD, FASA, CPPS
La normalisation de la concentration des médicaments peut permettre d’atténuer les effets des erreurs médicamenteuses. Le nombre de concentrations différentes de médicaments doit être limité afin d’améliorer la sécurité des soins. La normalisation peut conduire à limiter les concentrations différentes pour les médicaments à risque, connus pour avoir produit un nombre conséquent d’évènements indésirables.
Le comité sur la gestion de la qualité et l’administration départementale (QMDA) de l’ASA a réuni un groupe de travail sur la sécurité liée la normalisation des médicaments, dans le but d’explorer des solutions concernant la normalisation de la concentration des médicaments afin de protéger les patients dans le cadre de l’administration des médicaments et d’améliorer le travail des anesthésistes. Une grande étude documentaire, des études des sinistres et la base de données REMEDI ont été d’importantes sources de données pour le groupe de travail.9,10,15-29 Ces efforts ont été mis en avant lors de la Conférence Stoelting 2018 de l’Anesthesia Patient Safety Foundation (APSF), « Sécurité médicamenteuse en périopératoire27 : faire progresser les bonnes pratiques » et les 10 médicaments suivants ont été identifiés avec des recommandations pour normaliser leur concentration :
- Insuline
- Adrénaline
- Noradrénaline
- Phényléphrine
- Kétamine
- Dexmédétomidine
- Morphine
- Lidocaïne
- Héparine
- Rémifentanil
Outre le manque de normalisation des concentrations, les erreurs d’étiquetage des médicaments peuvent aggraver le risque pour les patients. L’APSF a créé un groupe de travail sur la normalisation et l’innovation et a parrainé trois conférences sur le sujet de la sécurité des médicaments en général. La Food and Drug Administration a pris des dispositions spécifiques pour l’étiquetage des médicaments au bloc opératoire basé sur un code couleur par classe médicamenteuse.16 La différence d’administration des médicaments en périopératoire complique d’autant plus la question. Les anesthésistes ont une compréhension unique des enjeux et devraient envisager de s’engager aussi bien au niveau local que national pour apporter leurs contributions à cet important problème de sécurité des patients.
Le Dr Rebello est professeur associé du Département d’anesthésie et de médecine périopératoire du MD Anderson Cancer Center de l’Université du Texas et n’a aucun conflit d’intérêt à déclarer.
Conclusion
L’APSF a identifié de nombreuses techniques pour améliorer la sécurité des médicaments au bloc opératoire, qui sont faciles à mettre en œuvre dans le cadre actuel des interventions. Les anesthésistes peuvent adopter les bonnes pratiques en matière de techniques de sécurité des médicaments, y compris en tenant compte de celles qui sont résumées par le Panel de sécurité médicale de l’APSF, afin d’optimiser la sécurité des patients et s’efforcer de veiller à ce qu’ « aucun patient ne subisse d’évènements indésirables lors d’une anesthésie ».
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