Gérer les raccords Luer

Bruce C. Hansel, PhD, CCE

Raccords Luer

Portant le nom du fabricant allemand d’instruments, Hermann Luer, les raccords Luer font partie des accessoires médicaux les plus anciens, conçus pour permettre un raccordement étanche entre les seringues et les aiguilles et le maintien d’une lumière continue pour le débit de liquide. Les raccords accouplés ont une conicité de 6 %. Lorsqu’ils sont assemblés par pression, la compression de la paroi intérieure contre la paroi extérieure du cône est conçue de sorte à fournir un raccordement étanche. Le raccord Luer est le plus souvent utilisé pour l’accès vasculaire. Cependant, il a également été utilisé pour d’autres applications médicales (par ex. raccordements entéraux et pneumatiques). Afin d’éliminer les raccordements croisés, dangereux et souvent mortels, la norme ISO 80369 récemment développée pour les raccords Luer limite son utilisation aux seules applications vasculaires.

Les raccords Luer sont fabriqués le plus souvent en plastique, néanmoins, ils peuvent également être en verre ou en métal. La nouvelle norme pour les raccords intravasculaires, ISO 80369-7, impose des restrictions relatives à la souplesse des raccords en plastique pour s’assurer que le raccord ne se déforme pas sous la pression.

Types d’embouts/raccords Luer

Figure 1 : A) Raccords coniques Luer mâle et femelle déconnectés. B) Raccords coniques Luer enclenchés pour former un raccordement étanche. Les flèches indiquent les forces de compression entre la paroi intérieure et la paroi extérieure du cône. L’étanchéité du raccord est assurée par l’association des forces de compression et du frottement entre les surfaces de contact. Remarque : les raccordements secs sont généralement moins susceptibles de se débrancher que si les surfaces des cônes sont humides.

Figure 1 : A) Raccords coniques Luer mâle et femelle déconnectés. B) Raccords coniques Luer enclenchés pour former un raccordement étanche. Les flèches indiquent les forces de compression entre la paroi intérieure et la paroi extérieure du cône. L’étanchéité du raccord est assurée par l’association des forces de compression et du frottement entre les surfaces de contact. Remarque : les raccordements secs sont généralement moins susceptibles de se débrancher que si les surfaces des cônes sont humides.

Le raccord conique Luer, souvent appelé le « Luer Slip », est la conception d’origine. Elle s’appuie uniquement sur les forces de compression et le frottement résultant entre les surfaces coniques opposées pour maintenir l’étanchéité du raccordement (Figure 1). Une séparation accidentelle est possible avec cette conception à chaque fois qu’une traction est appliquée par inadvertance sur le raccordement. Afin de réduire le risque de séparation accidentelle, les raccords Luer-Lock ont été développés. Ils comportent un cône male associé à un « manchon » fileté et un cône femelle doté de brides pour engager le filetage, appelées « ergots » (Figure 2). Lorsque les deux embouts sont vissés l’un avec l’autre, les surfaces coniques sont comprimées de la même manière que le raccordement conique. Toutefois, avec l’accouplement fileté supplémentaire, il est impossible de séparer le raccordement simplement en tirant sur les deux parties.

Le raccord Luer-Lock existe en deux versions. Le raccord Luer-Lock mâle peut présenter un manchon « fixe » où le manchon et le cône Luer sont d’une seule pièce ou il peut comporter un manchon « rotatif », où le manchon et le cône sont deux pièces distinctes (Figures 2 et 3). Le manchon rotatif permet au raccord conique être installé puis sécurisé par le manchon sans faire tourner la tubulure intraveineuse.

Figure 2 : A) Luer-Lock mâle avec un manchon fixe recevant une pièce femelle qui n’est pas encore enclenchée. B) Pièce mâle avec un manchon fixe « verrouillée » à sa place. Remarque : un raccord à manchon fixe peut faire subir une force de rotation (couple) à une tubulure fixée aux raccords.

Figure 2 : A) Luer-Lock mâle avec un manchon fixe recevant une pièce femelle qui n’est pas encore enclenchée. B) Pièce mâle avec un manchon fixe « verrouillée » à sa place. Remarque : un raccord à manchon fixe peut faire subir une force de rotation (couple) à une tubulure fixée aux raccords.

Figures 3 : A) Luer-Lock mâle avec un manchon rotatif recevant une pièce femelle qui n’est pas encore enclenchée. B) Pièce mâle avec un manchon rotatif enclenché. Remarque : le manchon rotatif permet d’engager le cône Luer en premier, puis de le sécuriser au moyen du manchon, afin d’éviter une force de rotation sur la tubulaire raccordée. Remarque : le manchon rotatif permet d’engager le cône Luer en premier, puis de le sécuriser au moyen du manchon, afin d’éviter une force de rotation sur la tubulaire raccordée.

Figures 3 : A) Luer-Lock mâle avec un manchon rotatif recevant une pièce femelle qui n’est pas encore enclenchée. B) Pièce mâle avec un manchon rotatif enclenché. Remarque : le manchon rotatif permet d’engager le cône Luer en premier, puis de le sécuriser au moyen du manchon, afin d’éviter une force de rotation sur la tubulaire raccordée.

Idées fausses sur les raccords Luer

Malgré son nom, Luer-Lock (ou verrou Luer), ces raccords ne nécessitent pas un « verrouillage ». Lors du raccordement, aucun loquet n’est activé. En outre, le manchon ne procure pas une étanchéité supplémentaire. Les raccords Luer-Lock sont aussi vulnérables à une séparation par inadvertance. Bien qu’il ne soit pas facile de les séparer par traction, il est possible de les dévisser par accident. Pour séparer les cônes, il faut dévisser le manchon du raccord Luer-Lock. Avec la prolifération de composants Luer plus volumineux, l’éventualité d’un dévissage accidentel a augmenté en raison du couple plus grand (c.-à-d. force) qu’il faut appliquer au raccordement Luer-Lock. Par exemple, une seringue raccordée à un robinet d’arrêt Luer à trois voies peut facilement desserrer un raccord Luer-Lock perpendiculaire à la seringue. L’ECRI a adopté le terme « effet de levier Luer » pour telles situations. Étant donné que le filetage des manchons est très gros, il suffit d’environ ¼ de tour pour desserrer le raccordement entre le cône mâle et le cône femelle.

Voici un exemple des conséquences de l’effet de levier Luer. Un patient est mort d’une hémorragie et d’une embolie gazeuse attribuées au débranchement d’une canule jugulaire et d’une valve hémostatique dotée d’un port latéral intégré de 6 pouces, raccordé à la canule par un raccord Luer-Lock. Au moment de la pose de la canule, son corps a été suturé à la peau du patient, pour empêcher la rotation de la partie femelle. À un moment donné, la tubulure intraveineuse raccordée au port latéral de la valve hémostatique a été tirée, avec une force suffisante pour dévisser le raccord Luer-Lock, entraînant une exsanguination depuis la canule et une entrée d’air.

Complications liées à un raccord Luer à la suite d’une séparation partielle ou totale

La séparation des raccords Luer provoque quatre types de complications, qui peuvent survenir séparément ou en association : infection, saignements, embolie gazeuse et fuite des médicaments au raccord. Les saignements et/ou une embolie gazeuse seront les sujets abordés dans cette partie. Les séparations peuvent être complètes ou partielles. Les séparations partielles surviennent lorsque les pièces semblent raccordées mais qu’elles ne sont pas suffisamment serrées pour éviter une fuite. Elles peuvent s’avérer difficiles à détecter.

Pour que des saignements ou une embolie gazeuse surviennent, il suffit d’une fuite entre le système vasculaire et l’atmosphère, ainsi qu’un gradient de pression favorable à un saignement ou à une entrée d’air. Le degré de saignement ou d’entrée d’air est proportionnel à la grandeur du gradient de pression, à la résistance à la fuite et à la longueur du conduit. Lorsque la pression dans la lumière de la tubulure est supérieure à la pression de l’air ambiant, du sang peut s’échapper du raccord Luer. Au contraire, si la pression dans la lumière est inférieure à la pression de l’air ambiant, il est possible que de l’air pénètre dans le flux sanguin. Les saignements ou l’entrée d’air résultant de gradients de pression survenant naturellement sont des évènements passifs. Lorsque la pression ou l’aspiration est appliquée par des dispositifs tels qu’une seringue ou une pompe, il s’agit d’évènements actifs et les gradients de pression sont généralement beaucoup plus importants que les pressions survenant naturellement. Par exemple, pendant le débranchement d’un raccord Luer d’un cathéter d’hémodialyse, de très forts saignements peuvent survenir.

Gestion des raccords Luer

Malgré le fait que le Luer-Lock ne soit pas un raccord entièrement sécurisé, il existe des stratégies d’utilisation qui peuvent atténuer le potentiel de complications causées par des fuites ou des séparations. Cette partie aborde les stratégies d’atténuation pour les raccords Luer-Lock, mais la majorité concerne également les raccordements avec des raccords Luer coniques.

Procéder au(x) raccordement(s)

  • Dans la mesure du possible, il faut effectuer le raccordement au moyen d’un composant Luer mâle et d’un composant Luer femelle. Étant donné que l’intégrité du raccordement dépend du frottement entre les cônes Luer mâle et femelle, des raccords secs seront plus sûrs que des raccords humides (c.-à-d. si une solution ou du sang est présent sur ou dans les cônes ou le manchon). Cependant, les raccords humides sont parfois inévitables (voire préférables) et il est possible de les réaliser sans fuites en procédant correctement.
  • Les raccords Luer doivent être serrés uniquement à la main. Il faut éviter d’utiliser des instruments préhenseurs parce qu’ils risquent d’endommager le raccord, augmentant ainsi le risque de fuite ou d’entrée d’air. Il est possible d’utiliser des instruments préhenseurs avec précaution pour séparer les raccords Luer si le branchement est trop serré pour permettre la séparation à la main.
  • Éviter de procéder à des raccordements Luer avec des raccords en matières différentes (c.-à-d. métal sur plastique).
  • Attention de ne pas visser le manchon du raccord Luer mâle de travers sur les ergots du cône femelle. Étant donné que le cône mâle avance au-delà de la fin du manchon fileté, les cônes s’enclenchent avant le manchon, contribuant au maintien de l’alignement des raccords. Lors de l’utilisation d’un manchon rotatif, il est utile de rétracter le manchon et de procéder en premier lieu au branchement du cône pour obtenir un bon alignement.
  • Enfin, procéder uniquement au nombre strictement nécessaire de branchements. Le nombre de branchements est directement proportionnel au risque de séparation indésirable.

Maintenir le(s) raccordement(s)

Une fois que le raccordement Luer est effectué, il doit être protégé des forces qui peuvent entraîner une séparation. Il est possible d’atténuer ces forces par divers moyens :

  • Maintenir du mou dans les tubulures à proximité des raccordements Luer sur des sondes permanentes.
  • Le parcours des tubulures doit permettre d’éviter qu’elles s’accrochent lors du déplacement du patient, des équipements à proximité ou d’autres personnes. Il faut cependant noter que trop de mou augmente ce risque.
  • Éviter l’effet de levier Luer en réduisant au minimum l’utilisation de dispositifs qui sont à la perpendiculaire des raccords Luer adjacents. Dans la mesure du possible, orienter ces dispositifs de sorte que s’ils s’accrochent ou si les tubulures auxquelles ils sont raccordés sont tirées, le Luer-Lock adjacent ne puisse pas être dévissé.
  • Les ports Luer inutilisés doivent être maintenus avec des capuchons Luer plein (sans prise d’air). Il ne faut pas se fier uniquement à des robinets d’arrêt et à des clamps comme seuls moyens de prévenir les fuites ou l’entrée d’air à des raccords Luer inutilisés.

Surveiller le(s) raccordement(s)

Les points suivants sont des conseils utiles qui s’appuient sur l’expérience acquise dans le cadre d’enquêtes après des accidents.

  • Afin de simplifier la surveillance des raccords Luer, éviter les espaces qui dissimulent le raccordement et/ou rendent l’accès au raccordement difficile, tels que sous les draps ou les champs opératoires. En particulier, il ne faut jamais couvrir des raccordements à un équipement de circulation extracorporelle, qui pourrait ne pas détecter un débranchement jusqu’à ce que des saignements ou une entrée d’air surviennent, mettant la vie du patient en danger.
  • Inspecter les tubulures proximales et distales par rapport au raccord Luer pour éviter qu’elles soient coincées, ce qui permettrait que le raccord subisse des forces de séparation. Par exemple, des tubulures lâches qui pourraient être accrochées par les personnes circulant autour du patient.
  • Inspecter les tubulures de perfusion en aval de leurs raccordements pour vérifier qu’elles ne contiennent pas de bulles d’air. En cas de détection d’air, il faudra évaluer l’étanchéité et l’état des raccordements en amont.
  • Inspecter les adhésifs qui recouvrent les raccords Luer pour détecter les signes d’humidité ou de sang. Dans la mesure du possible, utiliser des adhésifs transparents qui permettent une observation directe du raccord.

Comme tout autre dispositif médical, le potentiel de nuire au patient en utilisant un raccord Luer peut être réduit en comprenant les caractéristiques de conception, le potentiel de dommages et les stratégies d’utilisation selon les règles. Le respect des conseils prodigués ici devrait permettre de réduire le potentiel d’un évènement ou d’une issue défavorable lié à l’utilisation d’un raccord Luer.

 

Bruce C. Hansel, PhD, CCE est chercheur en chef principal, Enquête judiciaire sur les accidents pour l’Institut ECRI.

Les informations contenues dans le présent article sont fondées sur l’expérience que l’auteur a acquise pendant de nombreuses années d’enquêtes médicales après des accidents.


L’auteur ne signale aucun conflit d’intérêts.


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