La simulation est utilisée depuis très longtemps dans le cadre de l’éducation médicale. Au fur et à mesure de l’évolution des technologies, la simulation a également progressé. L’intégration de la simulation au cursus de l’éducation médicale et de l’éducation médicale universitaire, comme l’a fait le secteur de l’aviation, permettrait l’amélioration du processus d’attribution des licences et des certifications, ainsi que des soins administrés aux patients et de leur sécurité.
Introduction
Il est estimé que les erreurs médicales évitables sont l’une des principales causes de décès aux États-Unis, soit environ 400 000 par an.1 De même, les évènements iatrogènes peuvent causer un handicap pour environ 3,5 millions de patients par an aux États-Unis.1 Ces chiffres sont alarmants. Il est encore plus choquant de constater que malgré l’abondance de nouvelles méthodologies et technologies pédagogiques, l’éducation médicale a peu évolué en près d’un siècle et reste fermement ancrée dans l’apprentissage.2-4 Il reste non seulement une large marge d’amélioration possible, mais également une place pour l’adoption d’outils qui sont actuellement disponibles, à savoir la simulation. La simulation dans le cadre de la formation et de l’éducation a été intégrée avec succès dans le programme d’autres secteurs où les erreurs ont des conséquences graves, notamment l’aviation, à laquelle on compare souvent la médecine. L’utilisation efficace de la simulation haute fidélité est devenue un pilier de l’éducation des pilotes commerciaux, si bien que lorsqu’un pilote commercial pilote un avion pour la première fois, toutes les places sont occupées par des passagers.⁴ Bien que la simulation ait été intégrée à l’éducation médicale, elle n’est pas aussi répandue que dans d’autres secteurs comme l’aviation.
Origines de la simulation
Cela dit, il est surprenant d’apprendre que l’application de la simulation dans l’éducation médicale n’est pas récente. Des modèles antiques en argile et en pierre ont été découverts à travers le monde. Ils étaient utilisés pour présenter les caractéristiques cliniques de diverses maladies (Figure 1).³ Avec le passage du temps et l’évolution de la technologie, la simulation médicale est devenue plus sophistiquée. Le premier simulateur « moderne », un outil d’apprentissage de gestes interactif, a été développé dans les années 1700 par Grégoire et Grégoire, une équipe père-fils à Paris, en France, à partir d’un bassin de femme et d’un bébé mort.⁵ Il a été utilisé principalement pour enseigner des méthodes d’accouchement aux sages-femmes et a entraîné une diminution démontrable de la mortalité infantile.3,5 Il existe également un grand nombre de documents allant du Moyen Âge aux temps modernes de l’utilisation d’animaux autres que des humains dans le développement et l’enseignement des compétences chirurgicales.⁶
Développement de la simulation moderne
L’ère moderne de la simulation dans l’éducation médicale a commencé au début des années 60, après la « redécouverte » et la description du « bouche à bouche » par le Dr Peter Safar, qui travaillait au Baltimore City Hospital.7,8 Ces travaux, ainsi que les encouragements d’un anesthésiste norvégien, Bjorn Lind, ont convaincu le fabricant de poupées et de jouets en plastique, Asmund Laerdal, de concevoir et de produire un modèle réaliste d’un torse humain, permettant l’application de la manœuvre d’inclinaison de la tête et de soulèvement du menton de Safar, pour libérer les voies respiratoires obstruées et permettre le passage des insufflations de sauvetage par la technique du bouche à bouche.9 Plus tard, à la demande insistante de Safar, un mécanisme à ressort a été ajouté à l’intérieur du torse de Resusci-Anne® pour permettre les compressions thoraciques.6,9,10 C’est l’origine de l’un des mannequins de RCP le plus couramment utilisé au XXe siècle.⁵
Une autre avancée majeure dans la technologie de la simulation est intervenue en 1968 lorsque Michael Gordon, MD, PhD, de l’Université de Miami, a présenté Harvey®, le simulateur-patient cardio-pulmonaire (Figure 2).⁶ Harvey® peut simuler quasiment toutes les pathologies cardiaques en présentant diverses variables pour l’auscultation, la pression artérielle et le pouls. Il est encore en service à l’heure actuelle dans de nombreuses écoles de médecine, permettant d’enseigner les diagnostics physiques en cardiologie.3,6,10
Resusci-Anne® et Harvey® sont des exemples de deux grandes familles de simulateurs utilisées à l’ère actuelle : les outils d’apprentissage de gestes, qui ont pour mission d’enseigner un ensemble de compétences physiques et les outils d’apprentissage du diagnostic, qui ont pour mission principale d’enseigner l’interprétation des informations. Les outils d’apprentissage des gestes ont été développés pour enseigner toutes les compétences, du simple accès intraveineux périphérique aux compétences chirurgicales laparoscopiques.5,6,10 De même, les outils d’apprentissage du diagnostic ont été élargis afin d’aider les étudiants en médecine à comprendre un large éventail d’informations et de présentations des patients, allant des bruits du cœur à l’imagerie diagnostique.5,6,10
Les outils d’apprentissage du diagnostic ont aussi évolué pour faciliter l’apprentissage des compétences d’interaction avec les patients. Au début des années 60, le Dr. Howard Barrows, un interne en neurologie à l’Institut neurologique de New York, a fait la remarque astucieuse que certains patients modifiaient les résultats neurologiques de leurs examens en réponse à des examens répétés effectués par des étudiants en médecine et des internes.3 Lorsqu’il a été diplômé et qu’il a commencé à enseigner, Barrows a commencé à apprendre à des acteurs en bonne santé à simuler certaines maladies. Ainsi, en 1964, le patient standardisé a vu le jour.11,12
Le développement plus rapide du matériel informatique et des logiciels pendant les années 80 et 90 a conduit simultanément à l’évolution de la complexité et des capacités des simulateurs. La capacité de simuler des états physiologiques et des réactions à des médicaments a été développée, permettant aux étudiants d’avoir un véritable retour d’informations. En conséquence, la simulation en anesthésie a commencé à occuper une place centrale. David Gaba et ses collègues à l’Université de Stanford ont développé le Comprehensive Anesthesia Simulation Environment (CASE)® (Environnement complet de la simulation de l’anesthésie). Cet outil a permis de faire avancer la simulation au-delà de la simple interaction avec un mannequin, avec l’inclusion d’un générateur informatisé de formes d’ondes, pouvant produire toutes les informations généralement fournies par les équipements de monitorage des patients dans le domaine de l’anesthésie.13,14 Ce développement a engendré l’idée des simulateurs comme outils d’apprentissage de l’environnement. Contrairement aux outils d’apprentissage de gestes ou d’apprentissage du diagnostic, les outils d’apprentissage de l’environnement ne se concentrent pas sur l’enseignement de compétences ou d’informations, mais sur l’application des compétences et des informations que l’apprenant possède déjà, dans le cadre d’un ensemble préétabli de situations ou de conditions. Ce type de simulation s’est immédiatement prêté aux applications telles que la formation en gestion des ressources de crise de l’anesthésie.14,15
Nouvelles technologies de la simulation
Au fur et à mesure de l’évolution de l’informatique, de nouvelles technologies, telles que la réalité virtuelle, la réalité augmentée et la réalité mixte, ont également été intégrées à la simulation. Ces termes sont définis ci-dessous, avec des exemples.
La réalité virtuelle est une technologie d’immersion complète qui donne la sensation à l’utilisateur de se trouver dans un environnement différent, distinct du monde physique réel. Au moyen d’un moniteur placé sur la tête ou de lunettes, l’utilisateur peut faire l’expérience d’un monde d’images et de sons générés par ordinateur, dans lequel des objets numériques peuvent être manipulés à l’aide de commandes haptiques, reliées à une console ou un PC. Pendant que l’utilisateur se trouve dans un environnement de réalité virtuelle, ses interactions avec le monde réel sont limitées. Le simulateur de réalité virtuelle le plus développé est la plateforme SimX® (San Francisco, Californie),16 qui permet à plusieurs utilisateurs de participer simultanément à la même simulation. SimX® est un exemple de plateforme qui réagit au comportement naturel des participants et permet à plusieurs utilisateurs de participer au même scénario (c.-à-d. interagir avec le même patient virtuel et entre eux). L’utilisation du comportement naturel avec cette plateforme intervient par exemple si un(e) participant(e) se saisit d’un stéthoscope virtuel dans un environnement de réalité virtuelle et le pose sur le (la) patient(e). Les sons sont alors les mêmes qu’avec un vrai stéthoscope Fundamental Surgery (FundamentalVR, Londres, Royaume-Uni),17 est une plateforme de réalité virtuelle conçue pour la formation chirurgicale. Elle permet également à plusieurs utilisateurs d’interagir dans le cadre de la même simulation et d’utiliser des commandes manuelles, qui imitent divers outils chirurgicaux.
La réalité augmentée ajoute un contenu numérique à des éléments du monde réel. Pokémon GO (Niantic, San Francisco, Californie) fait partie des exemples les plus connus. Le monde réel reste au cœur de la simulation dans la réalité augmentée, mais il est enrichi par d’autres détails numériques, grâce à la superposition de nouvelles informations qui ne sont pas disponibles sans les éléments informatiques ajoutés, renforçant ainsi la réalité. La réalité augmentée permet une interaction numérique avec des éléments numériques et une interaction physique avec les éléments du monde réel. Un exemple est une plateforme réalisée par GIGXR (Los Angeles, Californie),18 qui génère des patients « holographiques » dans un environnement clinique réel. L’utilisateur (utilisatrice) accède au système grâce à un casque qui permet la visualisation d’un(e) patient(e) virtuel(le) et affiche ses signes vitaux dans la pièce physique où se trouve l’utilisateur (utilisatrice). Il est également possible d’accéder au système à l’aide d’un smartphone ou d’une tablette, qui utilise la caméra intégrée pour afficher la pièce et le (la) patient(e) virtuel(le) à l’écran.
La réalité mixte fusionne les éléments du monde réel et les éléments numériques. Dans la réalité mixte, l’utilisateur (utilisatrice) interagit avec des objets et des environnements physiques et virtuels et les manipule, grâce à des technologies de détection et d’imagerie nouvelle génération. La réalité mixte permet à l’utilisateur (utilisatrice) de voir et d’être immergé(e) dans le monde réel pendant qu’il (elle) interagit physiquement avec des objets réels et numériques. Ainsi, la réalité mixte fait tomber les barrières entre le réel et l’imaginaire. Un exemple est le système de simulation à ultrasons Heartworks®19 par Intelligent Ultrasound (Cardiff, Royaume-Uni), qui permet à l’utilisateur (utilisatrice) de placer des sondes à ultrasons transthoraciques et/ou transœsophagiennes dans un mannequin, de les manipuler de la même manière qu’au chevet d’un(e) patient(e) et d’explorer l’impact de la manipulation des sondes sur l’image ultrasons affichée à l’écran d’un ordinateur.
Ce système facilite l’acquisition des techniques de manipulation des sondes à ultrasons et l’examen de diverses pathologies, fonctionnant à la fois comme outil d’apprentissage du diagnostic et outil d’apprentissage des gestes. Un autre exemple de système de simulation par réalité mixte est le Système de simulateurs de surveillance basés sur la réalité mixte et la réalité augmentée (SMMARTS),20 développé à l’Université de Floride. SMMARTS est conçu autour d’un module central composé du matériel de surveillance et de modules complémentaires qui peuvent être paramétrés pour simuler essentiellement n’importe quelle anatomie.21 Le module physique comprend trois anatomies osseuses imprimées en trois dimensions et un modèle en gel de silicone ou en gel balistique des tissus mous environnants. Les éléments osseux et les tissus mous sont modélisés dans l’environnement logiciel. Cela permet à l’utilisateur d’examiner le tissu concerné et de réaliser des interventions.21 Plusieurs modules ont été développés pour SMMARTS, notamment une colonne vertébrale pour les procédures d’anesthésie locale du buste, une tête pour les procédures d’anesthésie locale de la tête et de la nuque, une tête pour les procédures de ventriculostomie, un buste pour l’accès aux systèmes veineux centraux jugulaire et sous-clavier internes, un bras pour l’accès veineux périphérique et une boîte pour les examens et les biopsies transrectaux de la prostate (Figure 3).21-25
Toutes ces technologies ont été utilisées sous divers formats dans le cadre de l’éducation médicale, principalement dans le domaine des soins chirurgicaux et post-interventionnels. Elles permettent une simulation extrêmement réaliste des compétences procédurales sans devoir impliquer un(e) patient(e), elles facilitent les diagnostics anatomiques basés sur les données d’imagerie du (de la) patient(e) ou la planification d’une chirurgie complexe. Les simulateurs à réalité mixte offrent de multiples avantages parce qu’ils sont capables de jouer simultanément le rôle d’outil d’apprentissage du diagnostic, d’apprentissage des gestes et d’apprentissage de l’environnement.
Un point de discorde est de savoir si la pratique de la simulation peut contribuer à l’amélioration de la sécurité des patients. Bien que la formation par simulation soit progressivement adoptée dans le cursus médical, elle n’est pas encore largement pratiquée dans de nombreuses disciplines, à part la formation avancée en réanimation cardio-pulmonaire ou des exercices limités sur des scénarios de crise clinique.26 En fait, il a été démontré que certains gestes de procédures simples, tels que la simulation de la pose d’une voie veineuse centrale, permettaient de réduire les complications et d’améliorer le devenir des patients.27 Toutefois, il est nécessaire de mener de grandes études prospectives de cohortes, afin de fournir des données indiquant que la formation par simulation améliore non seulement l’efficacité des procédures médicales, mais également la sécurité des patients.
Conclusions
Alors que les soins médicaux deviennent de plus en plus complexes et que la pratique médicale se spécialise de plus en plus, il est probable que la simulation continue à évoluer pour répondre aux besoins en termes d’éducation. Il faut s’attendre à ce que les simulateurs à réalité virtuelle, à réalité augmentée et à réalité mixte deviennent de plus en plus courants. Il est également probable que les simulateurs deviennent plus performants, intégrant des outils d’apprentissage du diagnostic, des gestes et de l’environnement. Imaginez un mannequin de simulation qui peut générer des signaux et les envoyer à des moniteurs d’anesthésie, tout en simulant des résultats d’un examen clinique d’un pneumothorax sous tension, permettant une bronchoscopie et une manipulation de la sonde endotrachéale, la pose d’une voie veineuse centrale, une thoracocentèse et la pose d’un drain thoracique, toujours à l’aide du même outil de simulation. Ces outils seraient non seulement utiles dans le cadre de l’éducation médicale, mais ils constitueraient aussi la base d’un nouveau paradigme d’évaluation des performances, telle que la certification, permettant la mise à l’épreuve non seulement des connaissances et du jugement, mais également des compétences physiques. Une adoption plus large d’un cursus fondé sur la simulation dans l’éducation médicale du premier et du deuxième cycles pourrait permettre non seulement de simplifier l’évaluation, mais également d’améliorer la qualité et la sécurité des soins prodigués aux patients.⁴
Les auteurs souhaitent remercier tout particulièrement Leah Buletti pour ses travaux éditoriaux sur cet article.
Cameron R. Smith, MD, PhD, est professeur assistant d’anesthésiologie, Service de médecine aiguë et de traitement de la douleur périopératoire, Département d’anesthésiologie, École de médecine de l’Université de Floride, Gainesville, Floride.
Yong G. Peng, MD, PhD, FASE, FASA, est professeur d’anesthésiologie, professeur associé de chirurgie et chef du service d’anesthésie cardiothoracique, Service d’anesthésie cardiothoracique, École de médecine de l’Université de Floride, Gainesville, Floride.
Conflits d’intérêts : Cameron Smith, MD, PhD signale qu’il est l’inventeur du module de simulation d’anesthésie locale de la tête et de la nuque SMMARTS mais qu’il n’est pas titulaire du brevet de la technologie sous-jacente. Yong G. Peng, MD, PhD, signale qu’il n’a aucun conflit d’intérêts.
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