Le danger actuel pour les anesthésistes : le burnout

Par Natalie Tarantur, CRNA; Mark Deshur, MD, MBA

Introduction

Les temps sont difficiles pour les anesthésistes. Notre spécialité est soumise à des réorganisations (fusion des services, nouvelles missions, salariat…) entrainant une altération de notre autonomie. Les paiements globaux, le déclin des remboursements, l’informatisation des dossiers (ID), et les acronymes tels que le paiement incitatif fondé sur le mérite (MIPS), la loi Medicare Access and CHIP Reauthorization Act (MACRA) consomment notre quotidien. Nous faisons face à une charge de travail croissante parallèlement à une pénurie nationale d’infirmiers et de médecins.1 D’autre part, nos cabinets subissent des pressions internes et externes pour atteindre ou dépasser des normes nationales en termes d’indicateurs de qualité hospitalière et, de satisfaction des patients, afin d’être efficaces par rapport à nos concurrents.2,3 Au cours des dix dernières années, les soins de santé ont également enregistré une hausse conséquente de cas de burnout des prestataires et il est clair que les anesthésistes ne sont pas à l’abri de cette épidémie grandissante. Cet article analyse les causes du burnout et les solutions potentielles pour réduire le risque.

Qu’est-ce que le burnout et quels sont les facteurs contributeurs ?

Le burnout ou syndrome d’épuisement professionnel est un ensemble de symptômes avec des niveaux d’énergie physiques et émotionnels très bas, du cynisme et un manque de motivation pour le travail.2 Cette situation peut avoir des conséquences graves, tant sur le plan personnel que professionnel. Par exemple, des études ont montré que les médecins souffrant de burnout sont plus exposés aux ruptures conjugales, à l’alcoolisme et à la toxicomanie, et présentent un plus grand risque de dépression, voire de suicide.3

La Mayo Clinic a relevé divers éléments qui peuvent jouer un rôle dans le burnout, comme la charge de travail, l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle et le sentiment d’appartenance à une communauté (Tableau 1).3 D’après Shanafelt et al., le taux moyen de burnout chez les anesthésistes est plus élevé que chez les autres médecins. En 2014, plus de 50 % des anesthésistes ont déclaré ressentir un épuisement professionnel, représentant une hausse marquée par rapport à 2011, et un chiffre deux fois plus élevé que pour la population active en général.4,5

Tableau 1. Facteurs contribuant éventuellement au burnout3

Charge de travail et exigences du travail
Contrôle et souplesse
Conciliation vie professionnelle-vie personnelle
Soutien social / milieu de travail
Correspondance des valeurs personnelles et de l’organisation
Pressions de production
Degré de satisfaction tirée des activités professionnelles

Au cours des dernières années, nous avons constaté une forte augmentation du nombre de dossiers, d’heures et d’effort de travail par prestataire dans nos établissements. Les données de Medical Group Management Association (MGMA) confirment que cette tendance se répand dans notre spécialité.6 Les professionnels de l’anesthésie travaillent plus d’heures, doivent travailler dans plusieurs établissements, passer plus de temps devant des dossiers médicaux informatisés et ils maîtrisent moins leur emploi du temps. Ces difficultés s’ajoutent au fait que l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle est une priorité pour la nouvelle génération.7

Les professionnels souffrant de burnout sont moins productifs, sont plus susceptibles de changer d’emploi et d’avoir moins de motivation au travail dans les années à venir. Il n’est pas surprenant que cet état puisse avoir des conséquences importantes sur les patients. Les prestataires confrontés à un burnout risquent de dispenser des soins de qualité inférieure. Par conséquent, les scores de satisfaction des patients seront moins bons et les prestataires seront plus susceptibles de commettre des erreurs médicales.8 Ainsi, la détresse des professionnels de la santé peut être un indicateur de qualité qu’il est utile de mesurer dans les centres médicaux.3

Au chevet des patients, une étude a montré une relation dose-réponse entre les scores de burnout et les erreurs médicales.8 Le burnout est impliqué dans une relation bilatérale, où les erreurs entraînent du stress, qui conduit à commettre des erreurs.9 En tant que professionnels de l’anesthésie, nous ne sommes pas à l’abri de résultats médiocres en terme de morbidité comme de mortalité. Une étude a rapporté que pour 84 % des anesthésistes impliqués dans au moins un décès inopiné ou une atteinte grave à l’intégrité corporelle d’un patient existait un sentiment de responsabilité personnelle.10 Ces expériences peuvent causer chez le prestataire une dépression, l’alcoolisme, voire un désir de changer de métier. Bien que 67 % des personnes interrogées estimaient que leur activité professionnelle pouvait en pâtir dans un avenir proche, seulement 7 % ont bénéficié d’un arrêt de travail pour reprendre leurs esprits et commencer à retrouver leur équilibre.10

Nos efforts pour réduire le burnout

Diverses études réalisées à la Mayo Clinic, (Rochester, Minnesota) suggèrent que les facteurs cités au Tableau 1 peuvent avoir une incidence sur la satisfaction globale et sur l’engagement des prestataires et qu’ils devront être pris en compte au niveau de l’organisation. En prenant soin de tenir compte de chaque dimension, il sera possible de réduire les cas de burnout, tout en créant une culture de professionnels extrêmement engagés.11

Réduire les cas de burnout dans notre institution

Notre cabinet a connu une croissance rapide et couvre désormais quatre hôpitaux et cinq centres de soins ambulatoires. Nous avons donc dû faire preuve d’adaptabilité dans l’organisation de l’emploi du temps de nos professionnels. Pendant une semaine type, nos professionnels de l’anesthésie sont amenés à se rendre dans trois ou quatre établissements différents. Cette situation est devenue source d’insatisfaction, en particulier pour nos Infirmières/infirmiers anesthésistes IADE qui étaient principalement impactés par les différents trajets.

Pour y remédier, nous avons développé un système innovant qui permet aux IADE de classer les établissements où ils préfèrent travailler. Un algorithme d’aide décisionnelle en temps réel permet désormais de hiérarchiser par priorité les IADE qui devraient travailler dans chaque établissement, en trouvant un équilibre entre le choix des établissements de chaque personne et ceux de ses collègues. Avec le système actuel, nous pouvons désormais envoyer des IADE dans leur premier ou deuxième choix d’établissement plus de 80 % du temps. Surtout, un sondage récent (sur une échelle de 1 à 5, où 5 est extrêmement satisfait) auquel 36 de nos 70 IADE ont répondu, a rapporté que 86 % étaient soit très satisfaits, soit extrêmement satisfaits des établissements qui leur étaient affectés, ce qui représente une amélioration marquée par rapport aux chiffres de référence.12

Nous pensons également qu’il est important de favoriser une culture de franchise, en donnant à nos prestataires des informations sur les causes et les symptômes du burnout et en les encourageant à avoir des discussions ouvertes. Notre cabinet a récemment connu des tragédies personnelles graves. Sans tarder, nous avons demandé conseil à des experts en bien-être pour apporter aux responsables des services l’expertise nécessaire à la gestion appropriée de ces évènements inattendus. Il est trop tôt pour savoir si les initiatives de bien-être seront bénéfiques à long terme, mais un sondage récent suggère que nous avons des raisons d’être optimistes. Parmi les anesthésistes et IADE interrogés (N=90), 70 % prévoyaient de participer à des évènements futurs de bien-être et 42 % ont déclaré que l’évènement permettait d’acquérir au moins des informations ou des compétences conduisant à une meilleure satisfaction globale dans leur vie professionnelle.13

Les horaires de travail flexibles sont aussi de plus en plus problématiques dans le cadre de l’évolution démographique de notre spécialité. Des études montrent qu’ils peuvent mener à une plus grande satisfaction des prestataires sans pour autant nuire à la satisfaction des patients, la qualité des soins dispensés ou l’efficacité.14 Au cours des 15 dernières années, notre service a enregistré un changement considérable du nombre de professionnels qui travaillent à plein temps. Les emplois à temps partiel ont permis aux professionnels de bénéficier d’une plus grande souplesse dans leurs horaires de travail et à notre cabinet d’accroître ou de réduire le nombre d’heures travaillées en fonction des besoins quotidiens.

Nous avons interrogé notre personnel afin d’évaluer les facteurs de risque en termes de stress et de burnout, après nos efforts visant à améliorer la satisfaction et l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle (N=90).13 Les résultats ont révélé que 54 % des membres de notre personnel étaient satisfaits de leur travail et 36 % signalaient être très satisfaits. En outre, 70 % de nos professionnels de l’anesthésie ont signalé qu’ils ont généralement ou toujours un équilibre adéquat entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle.13 Nous avons également interrogé notre personnel afin d’évaluer les niveaux moyens de stress au travail, leur impression globale de leur sentiment d’épuisement ou de fatigue, leur empathie envers les patients et leurs résultats au travail. 47 % des personnes interrogées ont indiqué un degré moyen de stress et 24 % ont déclaré ressentir beaucoup de stress. En outre, 20 % des personnes interrogées ont noté qu’elles étaient souvent très fatiguées, et 32 % moyennement fatiguées. Les résultats du sondage ont également révélé que seulement 8 % des personnes interrogées signalaient une empathie modérément réduite envers les patients, et 52 % ne signalaient aucune baisse d’empathie depuis qu’elles avaient commencé à travailler. Enfin, à la question de savoir s’ils sont moins performants au travail par rapport à leurs attentes, 38 % ont déclaré qu’ils avaient parfois ce sentiment, alors que 57 % ont signalé qu’ils l’avaient rarement, voire jamais.13

Conclusion

Plus de la moitié de nos professionnels d’anesthésie souffrent de burnout.4,15 Avec des programmes appropriés d’information et de sensibilisation, nous pouvons fournir à nos professionnels les outils nécessaires pour inverser cette tendance croissante. Nous devons affronter l’évolution constante du monde de la santé en faisant preuve de créativité et d’ouverture d’esprit. Comme l’a déclaré Vivik Murthy, MD, (Chirurgien, Général, du service de santé des armées aux États-Unis), « Si les prestataires de santé ne vont pas bien, il leur est difficile de soigner les personnes dont ils s’occupent. »16 Plus que jamais, il est impératif que la culture, le moral et le bien-être des prestataires deviennent nos valeurs fondamentales.

 

Natalie Tarantur est actuellement infirmière anesthésiste au NorthShore University HeathSystem.

Le Dr Deshur est actuellement vice-président des Opérations du Département d’anesthésie au NorthShore University HealthSystem et professeur associé du Département d’anesthésie de la Pritzker School of Medicine de l’université de Chicago.


Aucun des auteurs de cet article n’a déclaré de conflit d’intérêts.


Documents de référence

  1. Dall T, West T, Chakrabarti R, et al. The complexities of physician supply and demand: projections from 2016 to 2030 Final Report: Association of American Medical Colleges. Washington, DC: IHS Markit Ltd; 2018.
  2. Maslach C, Jackson S, Leiter S. Maslach. Burnout Inventory Manual. 3rd ed. Palo Alto, CA: Consulting Psychologist Press; 1996.
  3. Shanafelt T, Noseworthy J. Executive leadership and physician well-being: nine organizational strategies to promote engagement and reduce burnout. Mayo Clin Proc 2017; 92:129–146.
  4. Shanafelt T, Boone S, Tan L, et al. Burnout and satisfaction with work-life balance among US physicians relative to the general US population. Arch Intern Med 2012;172:1377–1385.
  5. Shanafelt T, Hasan O, Dyrbye L, et al. Changes in burnout and satisfaction with work-life balance in physicians and the general US working population between 2011 and 2014. Mayo Clin Proc 2015;90:1600–1613.
  6. Medical Group Management Association. Provider Comp Surveys 2016, 2017, 2018. Accessed on July 1, 2018—www.mgma.com.
  7. Deloitte Millennial Survey, 2016. Accessed on July 1, 2018- https://www2.deloitte.com/global/en/pages/about-deloitte/articles/millennialsurvey.html.
  8. Williams E, Manwell L, Conrad T, et al. The relationship of organizational culture, stress, satisfaction, and burnout with physician-reported error and suboptimal patient care: results from the MEMO Study. Health Care Manage Rev 2007;32:203–212.
  9. Moss M, Good V, Gozai D, et al. An official critical care societies collaborative statement: burnout syndrome in critical care health-care professionals. CHEST 2016;150:17–26.
  10. Farnaz M, Gazonai P, Amato Z, et al. The impact of perioperative catastrophe on anesthesiologists: results of a national survey. Anesth Analg 2012;14:596–603.
  11. Shanafelt T, Gorringe G, Menaker R, et al. Impact of organizational leadership on physician burnout and satisfaction. Mayo Clin Proc 2015;90:432–440.
  12. Deshur M, Shear T. Unpublished data from NorthShore University HealthSystem; 2017.
  13. Tarantur N, Katz J. Unpublished data from NorthShore University HealthSystem. 2018.
  14. Fein OT, Garfield R. Impact of physicians’ part-time status on inpatients’ use of medical care and their satisfaction with physicians in an academic group practice. Acad Med 1991;66:694–698.
  15. Kumar S. Burnout and doctors: prevalence, prevention and intervention. Healthcare (Basel) 2016;4:pii:E37.
  16. “Surgeon General Concerned About Physician Burnout,” MedPage Today: Web. April 10, 2016. https://www.medpagetoday.com/publichealthpolicy/generalprofessionalissues/57280 Accessed on August 20, 2018.